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Lire  Zappe le guerre en troisième d’insertion

Favoriser l’accès à la lecture à travers un thème : 
la guerre : fictions et témoignages…raconter, dénoncer…
Christophe Charlet

 

 

Lire en troisième d’insertion : le contexte.

 

C’est la troisième année que j’enseigne en troisième d’insertion. Cette année, j’ai en charge un groupe de 11 élèves. Ils ont tous connu une scolarité difficile : peu d’intérêt, des difficultés marquées, des périodes de déscolarisation pour certains…et une envie assez caractéristique : quitter le collège assez vite. Aussi, ont-ils choisi, après un entretien d’admission préalable en fin de quatrième, la « structure insertion » : mi-temps hebdomadaire en classe et en entreprise. Le groupe a donc un emploi du temps restreint dans lequel trois heures/semaine sont consacrées au français.

L’atout que j’ai est de disposer d’une liberté presque totale quant à mes choix d’enseignement : aucun texte officiel ne vient cadrer le contenu disciplinaire. Seul, à l’horizon de l’année, pointe l’examen du cfg qui consiste en un oral axé autour de l’expérience en entreprise et une évaluation des acquis sous la forme « + ou – ».

Ce cadre très libre n’a pas que des avantages, il expose à une tentation forte d’orienter les contenus d’enseignement autour du monde de l’entreprise, du vécu de « l’élève stagiaire ». L’envie est grande de proposer des textes de type documentaire, de faire produire des écrits autour du stage. De toute évidence, se pose alors le problème de la place accordée à la lecture de textes narratifs, de formes poétiques ou théâtrales… : comment conserver une place non négligeable à l’accès à une culture « littéraire », un intérêt pour la lecture de textes de fiction ? La question est d’autant plus centrale que la plupart des élèves de ce dispositif ont une représentation souvent très négative de la lecture. Dans leur parcours jusqu’en quatrième, la pratique de la lecture n’était pas toujours valorisée ni valorisante : et moi-même, j’ai été confronté à cette « dévalorisation ». En effet, j’ai eu en classe certains de ces élèves dans les années précédentes et bien souvent ils étaient des lecteurs peu experts, rapidement en difficulté devant des récits un peu plus complexes. Et il est vrai que dans un groupe de 25 à 30 élèves, ils étaient vite en décrochage par rapport à l’ensemble de la classe. Et je me sentais souvent en échec devant ces problèmes « d’intégration » dans le cours de Français.

Ceci m’a donc amené à inventer des stratégies différentes, plus progressives, pour aborder la lecture des œuvres de fiction. Surtout, il me semble important d’insister sur la capacité à prendre de la distance vis à vis du texte lu et donc de travailler sur les représentations, sur les identifications que mettent en jeu tout acte de lecture.

 

C’est dans cet état d’esprit et dans cette perspective que j’ai proposé aux élèves de troisième d’insertion une séquence axée autour du texte de Pef, « Zappe la guerre », en reprenant, transformant des activités déjà initiées par Denis Fabé. Je vous en propose donc le compte rendu qui suit.

 

Zappe la guerre : avant la lecture.

 

Après une rapide présentation du thème de notre séquence, je propose aux élèves de regarder trois extraits de films (trois minutes environ pour chaque extrait). Je leur donne juste la consigne suivante :

« - observez attentivement ces trois extraits, faites attention à ce qui se dit et à ce que vous voyez. »

Les trois extraits en question sont tous des scènes de fiction qui montrent des soldats de la grande guerre à l’assaut. Voici les extraits chronologiquement :

-         les sentiers de la gloire de Kubrick (en VOSTF, je n’ai que celle-la)

-         le pantalon d’Yves Boisset

-         Capitaine Conan  de Bertrand Tavernier

Les élèves sont très attentifs. Ils sont étonnés de voir un extrait en noir et blanc (celui de Kubrick).

Puis, je leur propose trois questions :

    - Qu’avez-vous vu et entendu ?

-         D’après vous, sur quoi a voulu insister le réalisateur ?

-         Si vous aviez été à la place de ces soldats, qu’auriez vous pensé, ressenti ?

 

Les élèves évoquent les combats, les soldats tués et surtout insistent sur le fait qu’ils auraient eu envie de ne pas y aller. Ils parlent de la peur de mourir. Un élève déclare : « Ils sont fous, ça sert à rien ce qu’ils ont fait.

Bien sûr, je reprends cette dernière phrase et je l’écris au tableau et je demande au groupe de bien enregistrer le propos de leur camarade.

Puis, on revoit les trois extraits mais cette fois-ci, je fais des arrêts sur image et propose quelques commentaires quant aux choix des réalisateurs pour traiter le sujet. La séance se termine là.

 

Dans la séance suivante (la même journée, avec une heure de pause pour déjeuner entre les deux heures), nous allons au site informatique du collège. C’est un lieu que les élèves connaissent bien car depuis le début de l’année, chacun y a ouvert un dossier dans lequel il trouve des travaux à effectuer et y enregistre ses textes, particulièrement le compte rendu du stage en entreprise.

Je reprends rapidement ce qui a été fait lors de la première séance, et leur demande quelles traces avons-nous de ces soldats tués pendant la guerre 14/18. Certains évoquent Vimy où ils sont allés quelques jours avant avec le collègue d’histoire. Je leur rappelle que la cérémonie du 11 novembre se déroule devant un lieu bien particulier, le monument aux morts. Aussi, je leur propose de faire une recherche sur Internet en tapant la requête « monument aux morts ». Je leur propose deux pistes de recherche : que trouve-t-on comme « ornementation » sur ces monuments ? Que peut-on y lire ?  Je leur propose de travailler une quinzaine de minutes sur ce thème, puis on fera une mise en commun. Ultime consigne : « mettre en favoris un ou deux sites qui leur semblent plus intéressants.

 

Evidemment, on l’aura compris, mon propose est « d’annoncer »le texte de Pef, de l’ancrer dans un « vécu » (le passé des poilus) et un contexte bien précis : le symbole du monument aux morts.

 

Leur recherche est productive…quelques sites sont remarqués. Je propose d’afficher pour toute la classe (avec Net support school) les deux sites suivants.

 

http://curagiu.com/monument.htm

http://monsite.wanadoo.fr/ruyaulcourt/page8.html

 

Tous deux proposent les listes des noms des soldats inscrits sur le monument.

 

Puis, je leur propose le document suivant :

 

 

 

 

 

 

 

  La consigne est : imaginez ce que pourrait nous dire ce soldat s’il avait un message à nous transmettre. Les élèves se prêtent avec plaisir à l’activité et produisent des textes courts mais qui reprennent ce qui a été dit lors de la première séance autour des extraits de films. Bien évidemment, l’outil traitement de texte est une aide précieuse pour l’élève et le prof. Cela permet de corriger efficacement et de revenir facilement sur les erreurs dans la construction des phrases et de l’orthographe.

 

Fin de la séance. Les conditions sont installées pour commencer le début de la lecture du texte de Pef.

 

 

Zappe la guerre : un récit qui pose des problèmes au lecteur.

 

Le choix que je fais est de ne pas proposer le texte dans son intégralité. Le texte, un album, a été amputé de ses illustrations et autres encadrés. Même s’il est court, le récit de Pef se prête bien à un découpage en trois parties : à la fin de chacune des parties, une activité d’écriture est proposée.

1)        arrivée des poilus et questionnement sur ce qu’ils sont venus faire …

2)        la découverte de l’environnement de notre époque

3)        un regard particulier, celui de l’enfant et vers la rencontre des deux mondes…

 

 Première partie

On ne le regardait presque jamais. Sur la place de Rezé, le monument aux morts était sans vie. Ce soir là, on ne le voyait carrément plus lorsque dans le brouillard, ils sont un à un apparus, se détachant lentement de sa masse de pierre.  ( …) Voilà quatre-vingts ans qu'ils étaient tous morts. Le temps d'une vie d'homme s'était écoulé et aujourd'hui, ils voulaient enfin savoir. Vérifier qu'ils avaient fait la guerre pour que cela en vaille leur peine.

 

 

Questionnaire sur la première partie de « Zappe la guerre » de Pef.

 

1)      Dans quelle ville se déroule cette histoire ?

2)       « ils sont un à un apparus » : de qui parle-t-on ?

3)      Quel élément atmosphérique rend la scène encore plus mystérieuse ?

4)      Que signifie le mot « godillots ». Que signifie donc l’expression « orphelins de leurs godillots » ?

5)      Combien de soldats y-a-il ? Qui les commande ? Quel est son grade ?

6)      Qui procéde à l’appel ?

7)      Savez-vous ce qu’est un « shrapnell » ?

8)      De quoi est mort Monti de Rezé ?

9)      Qui est le dernier à être appelé ?

10)  Que viennent faire ces soldats : pourquoi sont-ils revenus ?

11)  Selon vous, cette histoire est-elle possible ? Pourquoi ?

12)  Selon vous, que va  t-il se passer ? Imaginez une suite à ce début d’histoire.

 

 

Deuxième partie..

Qu'on n'est pas morts pour rien, quoi ! lança Soulas en dressant vers l'obscurité du ciel sa main ouverte, celle qu'il n'avait pas perdue dans la première neige des Vosges. Du fond d'une sacoche percée, Monti de Rezé fit remonter une vieille carte entre les ailes blanches de ses gants.  (…)
- Grand-père ! Une armée de morts ! hurla-t-il.
- Tu vois, nigaud, ça te tourne la tête, leur télé.
Il n'y avait plus personne contre le carreau.

 

Questionnaire sur la deuxième partie de « Zappe la guerre » de Pef.

1)      Qui prononce la première phrase du texte ?

2)      Où ce personnage a-t-il perdu sa main ? (dans quelle région ?)

3)      Où se trouvent les soldats au début du second paragraphe ?

4)      D’où viennent les images dont on parle à la ligne 8 ?

5)      A ton avis, à quoi peut bien servir un « esgourdomètre » ? (ligne 10)

6)      Que constatent les soldats ? Les guerres se sont-elles arrêtées ?

7)      Peux-tu dire où se situe Sarajevo  (dans quel pays) ? Et sur quel continent se situe le « Rouanda » (Rwanda) ?

8)       « A côté de la boîte noire » (lignes 20/21) : quel objet est désigné par cette expression ?

9)       « une petite grenade plate à la main » (ligne 21) : quel objet est désigné par cette expression ?

10)  Selon toi, quel programme regardent les deux occupants de la maison ?

11)   « Zappe la guerre ! » (ligne 35). Qui prononce ces paroles ? Explique cette expression ?

12)  Que voit le garçon à travers la fenêtre ?

13)   « il n’y avait plus personne contre le carreau » (dernière ligne ) : imagine une suite à cette deuxième partie : comment ont réagi les « poilus » ? Que vont-ils faire ?

 

 

Troisième partie

….Dans une course désarticulée, les trois soldats fuyaient. Les ordres étaient clairs. Il ne fallait pas être vus. Surtout par un enfant ! Sorin poussa les deux autres dans le dos
- Repli sous le monument, nom d'un chien ! Faut disparaître Monnier se soutenait le front en courant ( …)  à la fin.

 

Questionnaire sur la troisième partie du texte de Pef « Zappe la guerre ».

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Nom : ……………………………   Prénom : ……………………  Date : ………………

 

Note : ……/ 20 (1 point questions 1,2,3. 2 points questions 4 à 10. 3 points question10)

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1)       

2)          Les soldats doivent se replier

*Dans la maison

*Sous le monument

*Dans les autres rues

*On ne sait pas

 

3)          Le soldat qui pense que le gamin doit être au courant s’appelle

*Soulas

*Rezé

*Monnier

*Sorin

*On ne le sait pas

 

3)      Converger signifie :

*Aller tous vers un même lieu

*Se répartir en différents lieux

*Marcher vite

*Réfléchir où l’on doit aller

 

4)      Que sont les « boîtes vitrées » dont on parle à la ligne 22 ?

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      5) Dans quelle rue (quelle est son nom) une maison attire l’attention des poilus ?

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6)      Quel objet est désigné par l’expression « fourche-râteau » ?

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7)      Qu’est-ce qu’un jardinet ?

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8)      Quel soldat se retrouve seul à la fin du texte ? (quel est son nom ?)

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9)      Qui est le personnage avec la lampe de poche ?

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10)  Que fait le soldat pour ne pas effrayer l’enfant ?

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11)  Imagine, en quelques lignes, le début du dialogue entre l’enfant et le poilu :

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Ces trois activités représentent six séances.

Le travail que je propose se déroule à l’identique pour chacun des extraits, à savoir :

 

Lecture silencieuse du texte, accompagné d’un questionnaire dont on fait un compte rendu collectif. Pour les deux premiers extraits, je choisis de travailler encore une fois avec l’outil informatique (ici avec le logiciel Butinage). En effet, l’extrait, transformé en page html est affiché dans un navigateur. Le texte est accompagné de questions, les réponses sont saisies directement au clavier. Encore une fois, je privilégie cet outil pour parvenir à une écriture beaucoup plus « aboutie » que sur papier. Seul, le troisième extrait sera à traiter en solo à la maison et donnera lieu à une courte évaluation.

Pour le travail sur les deux premiers extraits, je laisse aux élèves qui le souhaitent la possibilité de travailler en duo.

 

A la lecture des réponses proposées par les élèves aux questionnaires, il apparaît que le texte de Pef, derrière l’apparence d’un album pour la jeunesse,  pose des problèmes de compréhension à plusieurs niveaux :

-         -          la première difficulté est celle du genre même du texte : on retrouve des caractéristiques du récit fantastique (le brouillard, la danse macabre des soldats sortis du monument), d’une fable dont la moralité serait toute implicite, d’un récit de guerre…

-         -          la seconde difficulté se situe quant au choix même de la narration qui relaye très souvent le regard et les paroles des soldats (une antenne devient « une fourche-râteau », la télécommande une « grande plate »…. Un vocabulaire argotique (esgourdomètre), un lexique technique (schrappnell), des références historiques et géographiques (le Rwanda, Sarajevo)  sont autant d’éléments qui ont dérouté les lecteurs.

-         -          enfin, le texte de Pef est un texte profondément iconoclaste, puisqu’il donne des soldats une image à l’héroïsme douteux (Monnier masque la « pastille écarlate » qu’il a entre les deux yeux, d’autres traînent leurs mutilations comme des artistes de cirque). Cette dérison qu’installe le texte n’est pas du tout évidente à saisir pour les élèves.

 

Tout l’intérêt du texte, me semble-t-il, et c’est ce que je me suis attaché à faire découvrir aux élèves, réside dans cette absence de réponse : le soldat ne dit rien au petit garçon, il va parler mais nous n’en saurons rien, à nous, lecteurs, de reconstruire son discours ( dernière activité demandée aux élèves). Le récit ne propose pas de solution toute faite (pas de didactisme pour employer un mot savant) : certes les soldats peuvent être pessimistes –et les lecteurs aussi - : la guerre ne s’est pas arrêtée. Mais, ce début de dialogue entre le soldat et l’enfant nous offre une chance de tirer les leçons de cette histoire. A nous d’achever ce discours…

 

Et après…

 

    La dernière séance est consacrée à des lectures de témoignages, des fameuses lettres de poilus. J’en ai proposé cinq et j’ai demandé aux élèves de réfléchir à la façon dont ces lettres pourraient être lues à voix haute, afin de donner une voix à ces soldats qui ont réellement existé. Les élèves, au départ gênés et amusés, ont fait un véritable travail de lecture. Ils se sont répartis par deux (moi je travaillais avec le onzième) dans deux classes afin de travailler la diction et la lecture. Puis chaque élève a lu sa lettre en public.

 

La séquence suivante s’intitule : « Lire, voir, dire l’actualité… »  Un des premiers travaux écrits sera de transposer l’histoire racontée par Pef en article de journal…un fait divers peu banal…