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La belle lisse poire
du prince de Motordu ,
Pef Folio Benjamin
A n'en pas douter, le prince de Motordu menait la belle vie.
I1 habitait un chapeau magnifique au-dessus duquel, le dimanche, flottaient
les crapauds bleu blanc rouge qu'on pouvait voir de loin.
Le prince de Motordu ne s'ennuyait jamais. Lorsque venait l'hiver, il faisait
d'extraordinaires batailles de poules de neige. Et le soir, il restait bien
au chaud à jouer aux tartes avec ses coussins …dans la grande
salle à danger du chapeau.
Le prince vivait à la campagne. Un jour, on le voyait mener paître
son troupeau de boutons. Le lendemain, on pouvait l'admirer filant comme le
vent sur son râteau à voiles.
Et quand le dimanche arrivait, il invitait ses amis à déjeuner.
Le menu était copieux
Menu du jour
Boulet rôti
Purée de petit bois
Pattes fraîches à volonté
Suisses de Grenouilles
Au dessert
Braises du jardin
Confiture de murs de la maison.
Un jour, le père du prince de Motordu, qui habitait le chapeau voisin,
dit à son fils :
- Mon fils, il est grand temps de te marier.
- Me marier ? Et pourquoi donc, répondit le prince, je suis très
bien tout seul
dans mon chapeau.
Sa mère essaya de le convaincre :
- Si tu venais à tomber salade, lui dit-elle, qui donc te repasserait
ton singe ? Sans compter qu'une épouse pourrait te raconter de belles
lisses poires avant de t'endormir.
Le prince se montra sensible à ces arguments et prit la ferme résolution
de se marier bientôt. Il ferma donc son chapeau à clé,
rentra son troupeau de boutons dans les tables, puis monta dans sa toiture
de course pour se mettre en quête d'une fiancée.
Hélas, en cours de route, un pneu de sa toiture creva.
- Quelle tuile ! ronchonna le prince, heureusement que j'ai pensé à
emporter ma boue de secours. Au même moment, il aperçut une jeune
flamme qui avait l'air de cueillir des braises des bois.
- Bonjour, dit le prince en s'approchant d'elle, je suis le prince de Motordu.
- Et moi, je suis la princesse Dézécolle et je suis institutrice
dans une école publique, gratuite et obligatoire, répondit l'autre.
- Fort bien, dit le prince, et que diriez-vous d'une promenade dans ce petit
pois qu'on voit là-bas ?
- Un petit pois ? s’étonna la princesse, mais on ne se promène
pas dans un petit pois ! C'est un petit bois qu'on voit là-bas.
- Un petit bois ? Pas du tout, répondit le prince, les petits bois,
on les mange. J'en suis d'ailleurs friand et il m'arrive d'en manger tant
que j'en tombe salade. J'attrape alors de vilains moutons qui me démangent
toute la nuit
- À mon avis, vous souffrez de mots de tête, s'exclama la princesse
Dézécolle et je vais vous soigner dans mon école publique,
gratuite et obligatoire.
Il n'y avait pas beaucoup d'élèves dans l'école
de la princesse et on n'eut aucun mal à trouver une table libre pour
le prince de Motordu, le nouveau de la classe. Mais, dès qu'il commença
à répondre aux questions qu'on lui posait, le prince déclencha
l'hilarité parmi ses nouveaux camarades. Ils n' avaient jamais entendu
quelqu'un parler ainsi !
Quant à son cahier, il était, à chaque ligne, plein de
taches et de ratures : on eût dit un véritable torchon .
Calcul.
quatre et quatre : huître,
quatre et cinq : boeuf,
cinq et six :bronze,
Six et six : bouse.
Que fabrique un frigo ?
Un frigo fabrique des petits garçons qu’on
met dans l’eau pour la rafraîchir.
Histoire.
Napoléon déclara la guerre aux puces il envahit la
Lucie mais les puces mirent le feu à Moscou et l'empereur fut chassé
par les vers très froids qu’il faisait cette année là,
glaglagla…
Je n’ai pas tout compris. Bonne écriture
D
Mais la princesse Dézécolle n'abandonna pas pour autant. Patiemment,
chaque jour, elle essaya de lui apprendre à parler comme tout le monde.
- On ne dit pas j'habite un papillon, mais j'habite un pavillon.
Peu à peu, le prince de Motordu, grâce aux efforts constants
de son institutrice, commença à faire des progrès. Au
bout de quelques semaines, il parvint à parler normalement, mais ses
camarades le trouvaient beaucoup moins drôle depuis qu'il ne tordait
plus les mots.
A la fin de l'année, cependant, il obtint le prix de camaraderie car,
comme il était riche, il achetait chaque jour des kilos de bonbons
qu'il distribuait sans compter. Lorsqu'il revint chez lui, après avoir
passé une année en classe, le prince de Motordu avait complètement
oublié de se marier.
Mais quelques jours plus tard, il reçut une lettre qui lui rafraîchit
la mémoire.
Mardi 6
Cher Motordu
A présent que vous ne souffrez plus de mots de tête,
j’aimerais savoir si vous aimeriez bien vous marier avec moi !
Princesse Dézécolle
Ps : vous avez oublié de me rendre votre livre de géographie.
Merci.
Il s'empressa d'y répondre, le jour même.
J’ai fini de lire le livre, il est très
bien et
j’accepte de me marier avec vous et avec joie.
Amitiés. Stop.
Signé Motordu.
Et c'est ainsi que le prince de Motordu épousa la princesse Dézécolle.
Le mariage eut lieu à l'école même et tous les élèves
furent invités.
Un soir, la princesse dit à son mari :
- Je voudrais des enfants.
- Combien ? demanda le prince qui était en train de passer l'aspirateur.
- Beaucoup, répondit la princesse, plein de petits glaçons et
de petites billes.
Le prince la regarda avec étonnement, puis il éclata de rire.
- Décidément, dit-il, vous êtes vraiment la femme qu'il
me fallait, madame de Motordu. Soit, nous aurons des enfants et en attendant
qu'ils soient là, commençons, dès maintenant, à
leur tricoter des bulles et des josettes pour l'hiver...
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Le petit Motordu
Pef , Folio benjamin.
En ce temps-là, le petit Motordu n'était pas encore le célèbre
prince de Motordu qu'il allait devenir. Ses parents , la comtesse Carreau
-Ligne de Motordu et son mari, le duc S.Thomas de Motordu l'aimaient bien
sûr de tout leur cœur. . Dès que l'enfant fut en âge
de marcher, on espéra qu'il allait rapidement nommer tout ce qui l'entourait.
Mais le petit Motordu ouvrait sur le monde de grands yeux étonnés
et demeurait silencieux.
Un jour comme son père lui tendait les bras, le jeune prince s'y précipita
et l'embrassa jusque dans les moustaches.
- Papa…!
Le petit prince de Motordu parlait!
Enfin!
Son père fut très ému, évidemment, mais aussi
quelque peu étonné.
- Comment?
- Papa! Répétait le bambin.
- Brave petit! s'exclama le duc de Motordu. Le langage est une chose toute
nouvelle pour toi, il est donc normal que tu t'y perdes un peu.
Mais dans la famille de Motordu, on parle en mots tordus, On dit donc "
tata" à son père et non "papa"!
Et celui qui voulait se faire appeler "tata" reposa son fils par
terre.
- Papa! répéta l'enfant pour la troisième fois.
- On dit" tata" , répliqua aussitôt le duc, et non
pas papa, pas papa!
- Papapapapapa, s'amusa le petit Motordu.
Alors le duc de Motordu, totalement découragé, s'éloigna
la larme à l'œil, préférant s'en aller arroser les
fleurs de son jardin.
C'est là que le trouva son épouse Carreau-Ligne, de retour des
commissions.
- Mais mon chéri, vous avez l'alarme à l'œil! Qui vous
a volé votre bonne humeur:
- C'est notre fils, soupira le jeune père, il n'a pas l'air normal.
- Il est salade? s'inquiéta la maman. Lui avez vous pris sa fève?
Le duc hocha la tête
- Ah c'est la fin des haricots et je…
Mais déjà, la mère du petit Motordu était auprès
de son fils qui cherchait son père en faisant un bruit bizarre avec
sa bouche:
- Papa?
Le cœur de la comtesse se serra douloureusement mais elle n'en laissa
rien paraître.
- Mon tendre amour regarde ce que je t'ai apporté du marché.
L'enfant souleva le couvercle de la boîte et en tira un magnifique….
- Chapeau! s'exclama-t-il.
- Ah non! rectifia sa mère, je t'ai offert un château. Ainsi
ta tête sera-t-elle à l'abri du méchant soleil et de la
méchante pluie.
- Chapeau! Chapeau! s'obstina l'enfant.
Les parents du petit prince de Motordu attendirent que l'enfant soit ben endormi
pour discuter de ce grave problème.
Le duc se lamentait:
- Notre fils à nous, les Motordu, ne parle pas tordu! Ce n'est pas,
normal, quel malheur!
- La comtesse essaya de le consoler:
- Il va peut-être faire des progrès, et tout va s'arranger, espérons
le!
Mais le duc n'était pas convaincu.
- Tout de même, mettre un chapeau sur sa tête, c'est grave! Mon
fils n'est pas notre fils!
Carreau-Ligne lui tapota la main:
- Allons, votre mauvais sang me fait beaucoup de veine!
Mais le duc , déjà, pensait à l'avenir:
- Ce petit ne prendra aucun plaisir à appendre par peur la fable du
corbeau et du renard!
- Alors que la table du corps gros et de gros lard, quelle rigolade! pouffa
la comtesse.
Le lendemain, les parents emmenèrent le petit prince en promenade.
- Mon chéri, regarde ces boules dans le pré, dit maman. Elles
sont drôlement polies, elle roulent, roulent pour que le oeufs de toutes
ces boules soient bien ronds, bien doux, bien polis
- Jolies Poules ! cria l'enfant.
- Polies boules! cria plus fort le père en secouant la poulette pliante
qui transportait son fils.
- Jolies poules!
- Crotte, crotte, colère! hurla le duc.
Le retour à la maison s'effectua rapidement.
- Mais on ne lui a pas encore montré les cheveux, les bâches
et les cafards, protestait la comtesse!
- Les chevaux, les vaches et les canards! corrigeait son fils.
Le duc se désolait encore.
- Si au moins, il disait les meuh-meuh et les coin-coin, il y aurait un peu
d'espoir! Mais c'est à croire que notre fils ne voit pas les mêmes
choses que nous. S'il ne devient pas rapidement tordu, sa vie sera un enfer.
Alors le lendemain les pauvres parents du petit Motordu enfermèrent
celui-ci dans une chambre qu'il avaient à moitié remplie de
chapeaux de toutes les formes, de toutes les tailles et de toutes les couleurs.
- Ah, tu veux des chapeaux rugit le père, eh bien, en voilà.
J'espère que tu en auras une indigestion, mauvais fils!.
Et le duc et la comtesse de Motordu refermèrent la chambre de leur
fils. Puis ils montèrent sur un bateau à carreaux blancs et
noirs et entamèrent une partie de rames. Mais le cœur n'y était
pas et ils retournèrent près de leur jeune enfant, devant l'entrée
de leur chambre.
- Tu peux sortir, annoncèrent-ils enfin, c'est ouvert.
- Non c'est tout bleu, fit une petite voix derrière la porte.
Les parents sursautèrent. Avaient-ils bien entendu?
- Tu peux répéter? supplia la mère qui n'en croyait pas
ses oreilles. C'est fermé ou c'est ouvert?
- Non maman, c'est tout bleu.
De bonheur les parents faillirent défoncer le porte.
Dans la chambre, le petit prince de Motordu avait réalisé un
extraordinaire échafaudage de chapeaux. Tendant le bras en direction
de la fragile construction, il la nomma ainsi:
- Château! Château!
Le duc faillit s'évanouir.
- Mon fils, ma chair , mon sang. Je le savais , tu es tordu, tu es sauvé!
Depuis ce jour mémorable, le petit Motordu connut une enfance normale,
digne de sa famille. Tout naturellement il chassait les perles du jardin pour
mieux les entendre siffler. Il menait au pré son petit troupeau de
bâches ou de boutons et fredonnait:
- " Le bon roi Dagobert a pris l'autoroute à l'envers…"
Mais pour fêter l'arrivée de son fils dans le monde des tordus,
sa maman prit soin de confectionner ce fameux chapeau-château qui ne
devait plus jamais quitter la tête du prince de Motordu! |