Sommaire
LE RENARD ET LA CIGOGNE


 

Compère le Renard se mit un jour en frais,

Et retint à dîner commère la Cigogne.

Le régal fut petit, et sans beaucoup d'apprêts ;

           Le galant pour toute besogne

Avait un brouet clair (il vivait chichement).

Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :

La Cigogne au long bec n'en put attraper miette;

Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

          Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la Cigogne le prie.

"Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis

         Je ne fais point cérémonie. "

A l'heure dite il courut au logis

        De la Cigogne son hôtesse,

        Loua très fort la politesse

        Trouva le dîner cuit à point.

Bon appétit surtout;

Renards n'en manquent point.

Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.

       On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col, et d'étroite embouchure.

Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer,

Mais le museau du sire était d'autre mesure.

II lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un Renard qu'une Poule aurait pris,

Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

     Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :

     Attendez-vous à la pareille.

 

La Fontaine. Fables

 

 

 

Le travail proposé ici est une lecture comparée suivie d’une écriture.

a) lecture comparée.
J’ai donné à mes élèves la première partie de la fable. S’ensuit un  travail de reformulation et de compréhension de ces quelques vers.
Ensuite lecture de la première scène de  l‘adaptation théâtrale écrite par Hélène Ray, dans Juliette et les fables de la Fontaine.  Magnard, Tire lire poche.


Le Renard et la Cigogne 1er tableau, Chez le renard.

 

Une table au milieu de la scène. Trois chaises, dont deux de chaque côté de la table.

Le Renard — un garçon revêtu d'une peau de renard. Grandes bottes très montantes.

La Cigogne — une fille tout de blanc vêtue. Grand chapeau à plumes, robe blanche, longs gants blancs, bas blancs. Chaussures rouge orangé. Le nez prolongé d'un long bec rouge.

Un récitant annonce : Premier tableau. Chez le renard.

 

Le renard se promène de long en large. Il se frotte les mains, le museau. Il sourit. (A voix basse) "

Renard: - Je m'en vais lui jouer un tour de ma façon... elle est un peu fiérote la cigogne, une petite leçon ça lui fera pas de mal... Et puis on n 'est pas renard pour rien, il faut faire honneur à sa réputation.

Pendant ce monologue, la cigogne arrive. Démarche boitillante (comme celle des oiseaux). Elle monte sur la scène, fait le geste de tirer une sonnette.

La Cigogne (voix chantante). — Drelin, drelin

Le Renard — Ah ! la voilà !

Il fait le geste d'ouvrir une porte. Grand salut cérémonieux.

Le Renard — Chère Madame la cigogne, quel honneur pour moi de vous recevoir dans mon humble logis.

La Cigogne — Mais non mais non, cher ami, un plaisir simplement, et partagé, je vous assure.

Elle va et vient sur la scène, inspectant discrètement les lieux.

(Voix mondaine) c'est gentil chez vous... C'est... Heu... C'est très simple... Mais enfin, c'est quand même très gentil. Le renard fait révérence sur révérence

Le Renard — Si vous voulez bien vous débarrasser... Vous permettez?

La Cigogne — Très volontiers.

Elle enlève son chapeau, ses gants, les tend au renard qui pose le tout sur la chaise, (en retrait). Il avance une chaise à la cigogne. Elle s'assoit.

La Cigogne — Je goûte infiniment ces moments où l'on s'installe devant une table, chez un hôte charmant, dans l'attente de plats succulents.

Le Renard — Chère amie, je vous reçois en toute simplicité.

La Cigogne — J'adore la simplicité.

Le Renard — Veuillez m'excuser un instant, je vais dans mon humble cuisine, (à part et en s'en allant: "Pour la simplicité, elle sera servie") surveiller la cuisson de mon plat.

La cigogne se lève, va et vient sur la scène. Elle renifle.

La Cigogne — Aucun fumet, aucune de ces bonnes odeurs qui vous mettent en appétit... M'est avis que le repas sera plutôt chiche.

Le renard revient et pose deux assiettes sur la table. (La cigogne n'a encore rien remarqué)

Le Renard — Une seconde, le plat que je vous ai préparé est cuit à point... C'est un plat de ma façon, vous m'en direz des nouvelles. (Il se prépare à sortir)

 La Cigogne — Je vous en prie.

Le renard sort. La cigogne voit les assiettes ;

La Cigogne — Une assiette, une assiette... (elle va et vient sur la scène) je te reconnais bien là, rusé renard... Voyons, ne nous emballons pas... Réfléchissons... Oui... C'est ça... A nous deux, compère.

Le renard revient, pose le brouet sur la table, en verse dans l'assiette de la cigogne. La cigogne s'assoit, prend son mouchoir et commence à s'éventer.

La Cigogne — (bec dirigé vers son assiette).  Oh ! ce plat me paraît délicieux... Sa consistance, sa couleur... Oh! heu... Comment appelez-vous ce... Cette chose?

Le Renard — Un brouet, chère amie, est le nom de cette chose.

La Cigogne — Le nom et la chose sont d'une délicatesse exquise, et son goût n'en peut être que savoureux.

La Cigogne tourne la tête à droite et à gauche et s'évente de plus en plus activement.

Le Renard — Goûtez-le donc, chère amie, pour vous en assurer.

La Cigogne (agitant toujours son mouchoir). — Je suis au désespoir de vous choquer, cher ami, votre logis est charmant, absolument charmant, délicieusement charmant... Mais on y manque un peu d'air, ne trouvez-vous pas?

Le Renard — C'est un terrier, chère amie.

La Cigogne — Un terrier en effet, c'est à dire creusé dans la terre...

Le Renard — Hé oui... Mais je vous en prie, faites honneur à ma cuisine.

La Cigogne — ... Alors que nous, nous vivons dans des nids... A l'air,... Au grand air...

Le Renard — Ne laissez donc pas refroidir votre brouet.

La Cigogne — C'est vrai, il dégage un arôme... Un arôme divin...

La Cigogne s'évente de plus en plus énergiquement... Mais décidément ce manque d'air...

Le Renard — Quelques gorgées de ce brouet le combleront, chère amie.

La Cigogne (de plus en plus agitée). — Je suis désolée vraiment, cher ami, je ne me sens pas bien, pas bien du tout, une sorte d'étouffement... (Elle se lève, souffle, paraissant en proie à une grande agitation) ah ! de l'air, de l'air... Je suis au bord de l'évanouissement... Si je m'attarde encore quelques instants, vous serez obligé de me ramener sur votre dos... Une cigogne sur le dos d'un renard... vous voyez le spectacle?

Le Renard (ton maussade). — Non, absolument pas.

La Cigogne — Désolée, cher ami, il me faut vous quitter... Et ce brouet si appétissant que je n'ai pu goûter, tous mes regrets, ravie de ces instants trop courts passés auprès de vous.

Elle prend son chapeau, ses gants: "Au revoir, cher ami". Elle s'en va (coup d'œil malicieux vers la salle).

Le Renard va et vient sur la scène en se grattant la tête.

Le Renard — Je reste tout pantois... Ou elle a joué la comédie... Ou elle a été sincère... Bah! ces volatiles sont si stupides, ne suis-je pas renard... On ne se moque pas de moi... On n'oserait pas...



 


La consigne est la suivante :


Comment l’auteur de la scène a-t-il adapté ces premiers vers ?
Qu’a-t-il gardé ?
Qu’a-t-il amplifié ?
Qu’a-t-il rajouté ?


b) Lecture/écriture

Ensuite distribution de la deuxième partie de la fable.
Consigne

En groupe :
Pour adapter cette fable au théâtre :
Quels sont les éléments que l’on doit respecter ?
Quels sont les éléments que l’on peut amplifier ?
Quels sont les éléments que l’on peut rajouter ?

Travail d’improvisation et écriture de la scène.

Ici, je donne la suite de la scène écrite par Hélène Ray.

Le récitant annonce : "Deuxième tableau, le renard chez la cigogne.

Même décor, une table, trois chaises. La cigogne se promène de long en large.

 

La Cigogne — Ah ! rusé renard, tu ne te doutes pas de ce qui t'attend. Tu as bien tort de croire que tu es le plus fin des animaux, et ce bon La Fontaine rendra célèbre le tour que je m'en vais te jouer.

Pendant ce monologue, le renard arrive sur la gauche. II porte un chapeau haut de forme. Il chantonne et semble tout joyeux. Il monte sur la scène, fait le geste de tirer une sonnette.

Le Renard (grosse voix). — Drelin, drelin

 La Cigogne — Ah ! le voilà ! Elle fait le geste d'ouvrir une porte. Grands saluts.... Cher ami, quelle joie pour moi de vous recevoir.

Le Renard — Et pour moi, quel honneur, chère amie.

La Cigogne — Quelle élégance ! Ce couvre-chef vous sied à ravir... Confiez-le moi, je vous prie.

Le renard lui tend son chapeau. La cigogne le pose sur une chaise

Le Renard — Pour vous, chère amie, je me suis mis en frais... Et votre malaise de l'autre jour?

La Cigogne — Dès que j'ai eu respiré l'air embaumé du soir, il s'est dissipé comme par enchantement.

Le Renard — Vous m'en voyez ravi.

La Cigogne — Et aujourd'hui je me sens particulièrement en appétit, j'espère qu'il en est de même

pour vous, cher ami.  Le renard renifle quelques petits coups, humant l'odeur du repas.

Le Renard — Cette promenade à travers champs et bois m'a particulièrement aiguisé, et... si je puis m'exprimer ainsi... je me sens une faim de loup... Oh! oh! (main devant la bouche).

La Cigogne — Veuillez m'excuser un moment, le temps de jeter un dernier coup d'œil à la cuisson de mon plat... Je vous ai fait rissoler des brochettes de grenouilles agrémentées d'une sauce tartare, vous m'en direz des nouvelles.

Le Renard (admiratif). — Une sauce tartare!

La Cigogne — C'est une recette qui m'a été confiée par un grand cuisinier d'un certain pays d'Orient où j'émigre chaque année... Vous le savez, nous, les cigognes, nous sommes des oiseaux migrateurs.

Le Renard — Je sais, je sais.

La Cigogne (voix charmeuse). — Excusez-moi. (Elle sort).

Le renard va et vient sur la scène. Il renifle. "Oh! quel délicieux fumet, des brochettes, une sauce tartare... Et moi qui n'ai eu aujourd'hui qu'une vieille carne de poule à me mettre sous la dent, je sens que je vais y faire honneur à ce repas, (il se  frotte les mains). La cigogne revient. Elle porte deux vases à long col fin. Au fond, de petits cubes dorés baignent dans une sauce. Elle les dépose sur la table, face à face.

La Cigogne — Asseyez-vous, je vous prie, cher ami. Il me tarde d'avoir votre avis sur mes talents de cuisinière, et tout particulièrement sur ma sauce tartare... Mais permettez que je goûte avant afin de m'assurer de la parfaite cuisson de mes brochettes. (Elle plonge le nez dans le vase, le retire)... Une merveille, cher ami, je devine que vous allez vous régaler.

Longue confrontation muette entre le renard et la cigogne.

La Cigogne — Eh bien, cher ami, que se passe-t-il ?

Le Renard — II se passe, chère amie, que je ne me sens pas très bien...

La Cigogne — Tiens tiens...

Le Renard — Oui... Je... Je ne sais... Le grand air peut-être, pour moi qui suis habitué à l'ombre de mon terrier... Je... Je... A vrai dire, je respire mal.

Il se lève, prend son chapeau et l'agite sous son nez.

La Cigogne — Je suis désolée... Faites un effort, ces petites brochettes et surtout cette sauce tartare vous ravigoteront, j'en suis certaine.

 Le Renard — Non vraiment... J'éprouve comme une sensation de... d'étouffement... Je sens que je ne pourrai rien avaler.

La Cigogne (à part). — Je m'en doute. (Tout haut) Oh ! je vois, je vois, ce que vous éprouvez chez moi, c'est tout à fait ce que j'ai ressenti moi, chez vous. (Geste de l'index allant du renard vers elle).

Le Renard — Exactement (il agite toujours son chapeau)

La Cigogne (geste de l'index allant d'elle vers le renard). — Vous chez moi, c'est à cause du... du trop d'air...

Le Renard (même geste de l'index). — Et vous chez moi, c'était à cause du manque d'air.

La Cigogne — Comme c'est étrange !

Le Renard — Très étrange en effet.

La Cigogne — Et comme on a tort de dire que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

Le Renard — Alors que des causes contraires peuvent produire des effets semblables.

   Ils se regardent longuement et ensemble:   "Quelle leçon !"

Le Renard — Désolé, chère amie, il me faut vous quitter, je me sens au bord de l'évanouissement.

La Cigogne — Puis-je me permettre de vous offrir le secours de mon dos et de mes ailes?

Le Renard — Inutile, chère amie, dès que j'aurai retrouvé l'odeur de mes prairies et de mes bois, mes forces reviendront.

La Cigogne — Navrée, cher ami... enfin je dégusterai votre part en pensant à vous... cela me consolera un peu de votre absence.

Le Renard — Comme moi l'autre jour en mangeant votre part de brouet.

Le Renard et la Cigogne, ensemble : "Exactement de la même façon".

Ils se serrent la main.

Avant de quitter la scène, le renard s'adresse aux spectateurs: "Eh bien non, elle n'est pas gourde du tout, la cigogne, elle est même très forte... à l'avenir, je me méfierai".

La cigogne s'installe à table et lance de grands éclats de rire.

 

Hélène Ray. Juliette et les fables de la Fontaine.  Magnard, Tire lire poche.