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Lire pour grandir
La littérature de jeunesse - celle, bien sur qui ne se contente
pas d'être un simple produit commercial à jeter après
usage, celle dont les auteurs refusent de se conformer au principe mercantile
de plaire à n'importe quel prix - présente la spécificité
de travailler la relation entre sujet et objet. Elle se propose d'explorer
l'espace qui sépare - en les opposant - les différences
et les ressemblances, l'étrangeté et la familiarité,
l'éloignement et la proximité, du moi et de l'autre. Tout
repose alors, semble-t-il, dans l'intention de l'écrivain, dans
la posture d'énonciateur qu'il adopte et qu'il adapte. Et tout
se passe comme si l'intention même de s'adresser à des
individus plus jeunes que soi, et donc de se poser comme contraintes
d'écriture l'ouverture du dialogue intergénérationnel,
l'étrangeté essentielle de la parole adulte posée
à côté de celle de l'enfant, rendait inepte la parole
affirmative, autoritaire de l'expert qui veut donner des leçons
de morale, d'écriture ou de lecture.(Ainsi les textes de Charpentrau,
le corbeau ou le perroquet qui interroge les absurdités de l'école,
Roal Dhal dans Mathilda, et tous ceux qui posent les problèmes
de l’adolescence…).
C'est, orientée vers la finalité d'un échange possible
entre des individus différents, une parole qui questionne le
monde, cherche des chemins, et parvient aussi à douter d'elle-même.L'écrivain
de littérature de jeunesse, celui que je reconnais comme tel,
se situe d'une toute autre façon, par rapport au jeune. Son écriture
ne cherche pas essentiellement à séduire ; elle a une
visée argumentative et transformative. Il ne s'agit pas de laisser
l'enfant où il est, dans son monde protégé, de
l'enfermer dans l'innocence rose ou bleue de l'égocentrisme.
Il s'agit de l'amener à grandir en introduisant dans l'univers
de son moi, progressivement, la dimension de l'autre, des points de
vue différents. Ainsi la littérature de jeunesse me semble
interroger une série de valeurs ou de questions universelles:
la présence au monde, mais aussi le racisme et la haine ( violence
carton rouge), la différence etc… Pourtant ses modes de
connaissances et d'appréhension du monde restent l'étonnement,
l'imaginaire, le rire et l'humour, même quand il s'agit d'envisager
le tragique de la condition humaine.