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Une si jolie poupée,
Pef ,Gallimard
Dans l'album intitulé Une si Jolie poupée",(Gallimard)
Pef raconte à la première personne l'autobiographie d'une
poupée. Il écrit comme écrirait une petite fille,
il voit le monde comme le verrait un jouet né pour l'amour et la
tendresse.
" Et puis un jour, je suis née. J'étais maintenant
une vraie poupée, sans les couleurs, mais avec mes cheveux, mes
yeux ma bouche et aussi mes pieds. Tous mes papas m'ont prise dans leurs
mains et ont estimé qu'avec de belles couleurs, je serais parfaite.
Et moi-même, après une autre machine, je me suis trouvée
assez bien , en couleurs. J'étais belle et légère.
On pouvait me reconnaître au fait que je pouvais m'ouvrir en deux.
Les enfants aiment les cachettes. Peut-être allais-je pouvoir garder
leurs bonbons, quelques sous ou un petit secret. Je plaisais tellement
que j'ai eu beaucoup de petites sœurs, des milliers et des milliers
de jumelles, parfois colorées autrement, mais me ressemblant tout
à fait, surtout à cause du petit trou qu'on avait toutes
dans le dos. Un jour on m'a mise dans une sorte de landau. Mes sœurs
aussi. On était serrées et on a voyagé. Celles du
dessous racontaient ce qu'elle voyaient à celles qui était
au fond. "
Or les illustrations disent l'inverse du texte : les papas ne sont que
de terribles ingénieurs de l'armement, les landaus sont des camions
militaires, et la boîte à secrets ne sera que le réceptacle
d'une grenade explosive.
J'ai donc fait lire le texte à mes élèves…
sans les images. Je leur ai même demandé d'illustrer leur
lecture en s'inspirant , pourquoi pas, d'autres livres de leur auteur
favori. J'ai arrêté le récit une ligne avant l'explosion,
sur ce passage:
"D'abord, la petite fille a regardé l'avion. Mais elle s'est
vite rendu compte qu'elle n'était pas assez grande pour l'attraper.
En un sens cela valait mieux car j'avais hâte de devenir sa poupée.
Elle a fini par m'apercevoir et s'est approchée. Ses yeux brillaient.
J'étais très émue. J'ai vu sa main venir vers moi.
J'ai vu ses doigts s'ouvrir pour me prendre. J'ai presque eu le temps
de sentir leur douceur. "
Et ils sont tombés dans le piège. Leurs dessins
évoquaient des mondes colorés, pleins de douceur et de papillons
multicolores. Le lendemain nous avons lu la suite, cette fois en leur
présentant le texte et les images :

"Alors un grand éclair de bruit m'a arraché la
tête. Et ma tête est partie en l'air au bout d'une gerbe de
sang. Des gens sont arrivés, d'autres enfants aussi. Ils ont emmené
la petite fille dans leur bras avec une veste roulée autour de
son bras à elle, déjà tout rouge. (…) Alors
j'ai compris . Ce lourd secret dans mon corps, imaginé par tous
les papas, ce lourd secret à bouton rouge, c'était une arme,
une mine. Pour faire la guerre, pour faire du mal aux enfants d'un pays
en guerre…. Maintenant il ne reste de moi que ma tête et ma
tête a honte, tellement honte. "
Stupeur de la classe, incompréhension. Pef ! Un si gentil bonhomme.
Il était temps de comprendre. Alors, ensemble, on a relu le texte
, essayé de voir où nous nous étions trompés
et pourquoi nous nous étions trompés. C'est Lucie qui a
expliqué le piège :
" On ne pouvait pas savoir. La poupée parle et voit comme
une poupée, elle ne peut pas savoir que ses papas sont de méchants
militaires. Si on avait eu les images, on aurait compris !"
Mais la littérature se plait aux jeux du point de vue. Désormais
Lucie et ses camarades savent qu'on ne doit pas faire confiance aux textes,
que les écrivains savent jouer avec les mots. "Il faut se
méfier des livres", a dit un jour, Axel, un élève
de troisième.
Texte intégral
de l'album.
Les poupées n'ont pas un papa mais plusieurs. Les miens ont eu
l'idée de moi dans un bureau.
D'abord, ils m'ont dessinée en essayant de m'inventer une belle
beauté avec de belles couleurs.
C'était une espèce de concours de la plus belle poupée
et c'et moi qui ai gagné.
Mes papas étaient tellement contents qu'ils ont mis la première
image de moi dans une machine et je me suis retrouvée à
plusieurs, à beaucoup de plusieurs. Et ces plusieurs moi ont été
présentés à d'autres papas très sérieux
qui ont décidé qu'il fallait que j'existe pour de vrai.
Alors on m'a entourée de machines et on m'a donnée toutes
sortes de positions , comme si on pouvait tourner autour de moi.
Je suis encore passée dans le ventre d'autres machines, mais c'est
normal. Je sais que tous les bébés passent aussi dans un
ventre, celui de leur maman.
Moi seulement, en tant que poupée, j'ai eu droit à plusieurs
ventres très compliqués.
Et puis un jour, je suis née. J'étais maintenant une vraie
poupée, sans les couleurs, mais avec mes cheveux, mes yeux ma bouche
et aussi mes pieds. Tous mes papas m'ont prise dans leurs mains et ont
estimé qu'avec de belles couleurs, je serais parfaite.
Et moi-même, après une autre machine, je me suis trouvée
assez bien , en couleurs.
J'étais belle et légère. On pouvait me reconnaître
au fait que je pouvais m'ouvrir en deux. Les enfants aiment les cachettes.
Peut-être allais-je pouvoir garder leurs bonbons, quelques sous
ou un petit secret.
Je plaisais tellement que j'ai eu beaucoup de petites sœurs, des
milliers et des milliers de jumelles, parfois colorées autrement,
mais me ressemblant tout à fait, surtout à cause du petit
trou qu'on avait toutes dans le dos.
Un jour on m'a mise dans une sorte de landau. Mes sœurs aussi. On
était serrées et on a voyagé. Celles du dessous racontaient
ce qu'elles voyaient à celles qui était au fond.
On est arrivé dans un autre endroit où d'autres papas étaient
habillés tous pareil. Ils ont vidé les landaus et mis toutes
mes sœurs et moi sur de grandes tables.
Là, on nous a ouvertes en deux et on nous a placé dans notre
petit corps une espèce de gros cœur froid. Ce n'était
donc pas une place pour des bonbons ou des sous. Mais peut-être
celle d'un lourd secret. Les enfants en ont parfois, toutes les poupées
du monde vous le diront.
J'ai senti que j'avais pris du poids, mais j'ai vite constaté que
désormais, je tenais mieux sur mes jambes alors qu'avant un petit
courant s'air suffisait à me renverser. De mon trou dans le dos
dépassait un petit bouton rouge. Nos nouveaux landaus étaient
différents des premiers. Désormais nous étions bien
rangées, séparées les unes des autres par de la mousse
et du plastique.
Nous ne pouvions plus nous toucher, mais nous avions de la place. Puis
nos landaus ont été refermés. On nous a transportées,
sans même que nous nous en apercevions, dans des camions puis dans
des avions. Les poupées aiment les voyages, mais nous ne pouvions
rein voir de tout ça. Dommage.
Pour passer le temps, j'essayais d'imaginer à quoi pouvait ressembler
mon premier enfant, celui dont j'allais vraiment devenir la poupée,
celui qui me caresserait de ses petites mains.
Il y a eu aussi un voyage en hélicoptère. Quand celui-ci
s'est enfin posé, j'ai d'abord senti de la fumée, puis j'ai
entendu des cris, des ordres. Notre couvercle s'est soulevé.
Je n'ai pas vu de visages d'enfants mais encore des visages de papas.
Il faisait nuit mais je crois qu'il y avait du noir sur ces figures.
Un homme m'a prise dans sa grosse main.
J'en ai aperçu un autre qui ne tenait pas de poupée mais
un avion miniature. Et puis encore un autre a sorti d'un landau un petit
bateau.
C'étaient des jouets comme moi, avec, comme moi de très
jolies couleurs.
Après il y a eu une grande marche. La main chaude de mon porteur
me berçait tendrement et nous avancions tous dans la nuit, les
hommes, les jouets, sans faire de bruit.
Quand tout le monde s'est arrêté, j'ai senti que nous allions
enfin rencontrer des enfants. Des jouets, ils allaient en avoir bien besoin
car le pays n'était pas gai. Les maisons que je pouvais apercevoir
fumaient, non pas de la cheminée, mais de leur toit cassé.
Autour de moi, il n'y avait ni arbre ni fleurs, mais beaucoup de terre
remuée.
L'homme qui me portait s'est arrêté. Il réfléchissait
, regardait autour de lui. Puis il s'est décidé. Il m'a
porté entre les pierres défaites d'un petit mur.
Ensuite, j'ai senti son doigt tirer le petit bouton rouge installé
dans son dos.
Après il a disparu, les autres aussi. Je suis restée toute
seule dans le froid triste du matin. De loin j'ai aperçu l'avion-jouet
posé sur une branche d'arbre.
Je ne sais plus combien de temps j'ai attendu. C'est une voix d'enfant
qui m'a réveillée. Une sorte de petite chanson qui allait
et venait.
Celle qui la chantait était un peu pâle, pas très
bien habillée et pas peignée du tout.
D'abord, le petite fille a regardé l'avion. Mais elle s'est vite
rendu compte qu'elle n'était pas assez grande pour l'attraper.
En un sens cela valait mieux car j'avais hâte de devenir sa poupée.
Elle a fini par m'apercevoir et s'est approchée. Ses yeux brillaient.
J'étais très émue. J'ai vu sa main venir vers moi.
J'ai vu ses doigts s'ouvrir pour me prendre. J'ai presque eu le temps
de sentir leur douceur.
Alors un grand éclair de bruit m'a arraché la tête.
Et ma tête est partie en l'air au bout d'une gerbe de sang.
Des gens sont arrivés, d'autres enfants aussi. Ils ont emmené
la petite fille dans leur bras avec une veste roulée autour de
son bras à elle, déjà tout rouge.
Un petit garçon s'est mis lui aussi à crier. Il voulait
le bel avion dans l'arbre. Il a reçu une gifle et tout le monde
est parti en courant.
Alors j'ai compris . Ce lourd secret dans mon corps, imaginé par
tous les papas, ce lourd secret à bouton rouge, c'était
une arme, une mine. Pour faire la guerre, pour faire du mal aux enfants
d'un pays en guerre….
Maintenant il ne reste de moi que ma tête et ma tête a honte,
tellement honte.

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