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Maupassant
Entrer dans la lecture d’un recueil de nouvelles.

 

Cette démarche vient tout droit… de la littérature de jeunesse. En effet, entrer dans un recueil de nouvelles de Maupassant n’est pas  si simple. Mise en page compacte, textes parfois longs, peu d’illustrations, quelques notes : tout l’apparat, parfois rébarbatif, de la littérature dite « sérieuse ».
Le travail  est ici des plus simples. Les élèves doivent associer un extrait de nouvelle à un titre.
Pour fabriquer ce document il suffit donc de choisir un passage significatif, pas trop transparent  toutefois, juste pour « obliger » l’élève à lire l’extrait en entier.
La première fois que j’ai mené cette démarche, j’ai été surpris le la réaction des élèves. Ils ont  commenté, à la fin de l’exercice, les textes qu’ils venaient de lire.
 « C’est morbide, c’est inquiétant, Il y a plein de questions. Il y a toujours la mort. On ne sait pas bien si ce que ça raconte est un rêve ou la réalité … »

En fait les élèves définissaient peu à peu, juste à partir de « petits bouts de récits » une première définition de l’écriture fantastique.
Désormais, j’organise un peu plus le débat autour de quelques questions :

- Quels sont les points communs entre ces textes ?
- Y a-t-il des effets de style qui reviennent d’un texte à l’autre ? Lesquels ?
- A quels films , livres, BD ces textes vous font penser ?

La séance s’achève par la rédaction provisoire d’une définition de l’écriture fantastique.



(Extrait du document de travail distribué aux élèves)

 

Nouvelles de Guy de Maupassant

- La mère aux monstres
- La main d’écorché
- Apparition
- Un fou ?
- Auprès d’un mort
- Qui sait ?
- Sur l’eau
- La nuit


 

Le lendemain, comme je passais devant sa porte, j'entrai chez lui, il était environ deux heures, je le trouvai lisant et fumant. "Eh bien, comment vas-tu ? lui dis-je. - Très bien, me répondit-il. - Et ta main ? - Ma main, tu as dû la voir à ma sonnette où je l'ai mise hier soir en rentrant, mais à ce propos figure-toi qu'un imbécile quelconque, sans doute pour me faire une mauvaise farce, est venu carillonner à ma porte vers minuit ; j'ai demandé qui était là, mais comme personne ne me répondait, je me suis recouché et rendormi."
    En ce moment, on sonna, c'était le propriétaire, personnage grossier et fort impertinent. Il entra sans saluer. "Monsieur, dit-il à mon ami, je vous prie d'enlever immédiatement la charogne que vous avez pendue à votre cordon de sonnette, sans quoi je me verrai forcé de vous donner congé. - Monsieur, reprit Pierre avec beaucoup de gravité, vous insultez une main qui ne le mérite pas, sachez qu'elle a appartenu à un homme fort bien élevé." Le propriétaire tourna les talons et sortit comme il était entré. Pierre le suivit, décrocha sa main et l'attacha à la sonnette pendue dans son alcôve. "Cela vaut mieux, dit-il, cette main, comme le "Frère, il faut mourir" des Trappistes, me donnera des pensées sérieuses tous les soirs en m'endormant." Au bout d'une heure je le quittai et je rentrai à mon domicile


 

Et, tout bas, nous parlions de lui, nous rappelant des paroles, des formules, ces surprenantes maximes qui semblent des lumières jetées, par quelques mots, dans les ténèbres de la Vie inconnue.
    "Il me semble qu'il va parler", dit mon camarade. Et nous regardions, avec une inquiétude touchant à la peur, ce visage immobile et riant toujours.
    Peu à peu nous nous sentions mal à l'aise, oppressés, défaillants. Je balbutiai :
    "Je ne sais pas ce que j'ai, mais je t'assure que je suis malade."
    Et nous nous aperçûmes alors que le cadavre sentait mauvais.
    Alors mon compagnon me proposa de passer dans la chambre voisine, en laissant la porte ouverte ; et j'acceptai.
    Je pris une des bougies qui brûlaient sur la table de nuit et je laissai la seconde, et nous allâmes nous asseoir à l'autre bout de l'autre pièce, de façon à voir de notre place le lit et le mort, en pleine lumière.
    Mais il nous obsédait toujours ; on eût dit que son être immatériel, dégagé, libre, tout-puissant et dominateur, rôdait autour de nous. Et parfois aussi l'odeur infâme du corps décomposé nous arrivait, nous pénétrait, écoeurante et vague.
    Tout à coup, un frisson nous passa dans les os : un bruit, un petit bruit était venu de la chambre du mort.

 

Je me mis à chantonner ; le son de ma voix m'était pénible ; alors, je m'étendis au fond du bateau et je regardai le ciel. Pendant quelque temps, je demeurai tranquille, mais bientôt les légers mouvements de la barque m'inquiétèrent. Il me sembla qu'elle faisait des embardées gigantesques, touchant tour à tour les deux berges du fleuve ; puis je crus qu'un être ou qu'une force invisible l'attirait doucement au fond de l'eau et la soulevait ensuite pour la laisser retomber. J'étais ballotté comme au milieu d'une tempête ; j'entendis des bruits autour de moi ; je me dressai d'un bond : l'eau brillait, tout était calme.
    Je compris que j'avais les nerfs un peu ébranlés et je résolus de m'en aller. Je tirai sur ma chaîne ; le canot se mit en mouvement, puis je sentis une résistance, je tirai plus fort, l'ancre ne vint pas ; elle avait accroché quelque chose au fond de l'eau et je ne pouvais la soulever ; je recommençai à tirer, mais inutilement. Alors, avec mes avirons, je fis tourner mon bateau et je le portai en amont pour changer la position de l'ancre. Ce fut en vain, elle tenait toujours ; je fus pris de colère et je secouai la chaîne rageusement. Rien ne remua.

 

Il avait un tic gênant: la manie de cacher ses mains. Presque jamais il ne les laissait errer, comme nous faisons tous sur les objets, sur les tables. Jamais il ne maniait les choses traînantes avec ce geste familier qu'ont presque tous les hommes. Jamais il ne les laissait nues, ses longues mains osseuses, fines, un peu fébriles.
    Il les enfonçait dans ses poches, sous les revers de ses aisselles en croisant les bras. On eût dit qu'il avait peur qu'elles ne fissent, malgré lui, quelque besogne défendue, qu'elles n'accomplissent quelque action honteuse ou ridicule s'il les laissait libres et maîtresses de leurs mouvements.
    Quand il était obligé de s'en servir pour tous les usages ordinaires de la vie, il le faisait par saccades brusques, par élans rapides du bras comme s'il n'eût pas voulu leur laisser le temps d'agir par elles-mêmes, de se refuser à sa volonté, d'exécuter autre chose. A table, il saisissait son verre, sa fourchette ou son couteau si vivement qu'on n'avait jamais le temps de prévoir ce qu'il voulait faire avant qu'il ne l'eût accompli.
    Or, j'eus un soir l'explication de la surprenante maladie de son âme. 

 

Il reprit :
    - C'est une femme abominable, un vrai démon, un être qui met au jour chaque année, volontairement, des enfants difformes, hideux, effrayants, des monstres enfin, et qui les vend aux montreurs de phénomènes.
    Ces affreux industriels viennent s'informer de temps en temps si elle a produit quelque avorton nouveau, et, quand le sujet leur plaît, ils l'enlèvent en payant une rente à la mère.
    Elle a onze rejetons de cette nature. Elle est riche.
    Tu crois que je plaisante, que j'invente, que j'exagère. Non, mon ami. Je ne te raconte que la vérité, l'exacte vérité.
    Allons voir cette femme. Je te dirai ensuite comment elle est devenue une fabrique de monstres.
    Il m'emmena dans la banlieue.
    Elle habitait une jolie petite maison sur le bord de la route. C'était gentil et bien entretenu. Le jardin plein de fleurs sentait bon. On eût dit la demeure d'un notaire retiré des affaires

 

Mon Dieu! Mon Dieu! Je vais donc écrire enfin ce qui m'est arrivé! Mais le pourrai-je? l'oserai-je? cela est si bizarre, si inexplicable, si incompréhensible, si fou!
    Si je n'étais sûr de ce que j'ai vu, sûr qu'il n'y a eu, dans mes raisonnements, aucune défaillance, aucune erreur dans mes constatations, pas de lacune dans la suite inflexible de mes observations, je me croirais un simple halluciné, le jouet d'une étrange vision. Après tout, qui sait?
    Je suis aujourd'hui dans une maison de santé; mais j'y suis entré volontairement, par prudence, par peur! Un seul être connaît mon histoire. Le médecin d'ici. Je vais l'écrire. Je ne sais trop pourquoi? Pour m'en débarrasser, car je la sens en moi comme un intolérable cauchemar.
    La voici:
    J'ai toujours été un solitaire, un rêveur, une sorte de philosophe isolé, bienveillant, content de peu, sans aigreur contre les hommes et sans rancune contre le ciel. J'ai vécu seul, sans cesse, par suite d'une sorte de gêne qu'insinue en moi la présence des autres. Comment expliquer cela? Je ne le pourrais. Je ne refuse pas de voir le monde, de causer, de dîner avec des amis, mais lorsque je les sens depuis longtemps près de moi, même les plus familiers, ils me lassent, me fatiguent, m'énervent, et j'éprouve une envie grandissante, harcelante, de les voir partir ou de m'en aller, d'être seul. 

 

Le jour me fatigue et m'ennuie. Il est brutal et bruyant. Je me lève avec peine, je m'habille avec lassitude, je sors avec regret, et chaque pas, chaque mouvement, chaque geste, chaque parole, chaque pensée me fatigue comme si je soulevais un écrasant fardeau.
    Mais quand le soleil baisse, une joie confuse, une joie de tout mon corps m'envahit. Je m'éveille, je m'anime. A mesure que l'ombre grandit, je me sens tout autre, plus jeune, plus fort, plus alerte, plus heureux. Je la regarde s'épaissir la grande ombre douce tombée du ciel : elle noie la ville, comme une onde insaisissable et impénétrable, elle cache, efface, détruit les couleurs, les formes, étreint les maisons, les êtres, les monuments de son imperceptible toucher.
    Alors j'ai envie de crier de plaisir comme les chouettes, de courir sur les toits comme les chats ; et un impétueux, un invincible désir d'aimer s'allume dans mes veines.
    Je vais, je marche, tantôt dans les faubourgs assombris, tantôt dans les bois voisins de Paris, où j'entends rôder mes soeurs les bêtes et mes frères les braconniers.
    Ce qu'on aime avec violence finit toujours par vous tuer. Mais comment expliquer ce qui m'arrive ? Comment même faire comprendre que je puisse le raconter ? Je ne sais pas, je ne sais plus, je sais seulement que cela est. - Voilà. 

 

 

Une grande femme vêtue de blanc me regardait, debout derrière le fauteuil où j'étais assis une seconde plus tôt.
    Une telle secousse me courut dans les membres que je faillis m'abattre à la renverse ! Oh ! personne ne peut comprendre, à moins de les avoir ressenties, ces épouvantables et stupides terreurs. L'âme se fond ; on ne sent plus son coeur ; le corps entier devient mou comme une éponge, on dirait que tout l'intérieur de nous s'écroule.
    Je ne crois pas aux fantômes ; eh bien ! j'ai défailli sous la hideuse peur des morts, et j'ai souffert, oh ! souffert en quelques instants plus qu'en tout le reste de ma vie, dans l'angoisse irrésistible des épouvantes surnaturelles.
    Si elle n'avait pas parlé, je serais mort peut-être ! Mais elle parla ; elle parla d'une voix douce et douloureuse qui faisait vibrer les nerfs. Je n'oserais pas dire que je redevins maître de moi et que je retrouvai ma raison. Non. J'étais éperdu à ne plus savoir ce que je faisais ; mais cette espèce de fierté intime que j'ai en moi, un peu d'orgueil de métier aussi, me faisaient garder, presque malgré moi, une contenance honorable. Je posais pour moi et pour elle sans doute, pour elle, quelle qu'elle fût, femme ou spectre. Je me suis rendu compte de tout cela plus tard, car je vous assure que, dans l'instant de l'apparition, je ne songeais à rien. J'avais peur.