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la Liste générale de tous les enfants du monde entier est un recueil de portraits d’enfants dessiné par Pef : chaque dessin comporte un texte très bref qui présente un enfant, son nom, sa ville d’origine (et la région ou le pays). Les portraits ont des tonalités très différentes (humoristique, onirique, poétique, pathétique…) et leur succession est purement aléatoire. Comment utiliser un tel support en classe de français? Je pense d'abord aux instructions
officielles et je me demande en quoi cet album pour enfant peut illustrer
les programmes. Bien sûr il y a le portrait, mais je n’imagine qu’un travail
d’écriture purement imitatif. Quoi d’autre ?
Ensuite il y a mes élèves à qui j’ai demandé une suite de texte sans grand espoir parce qu’ils sont faibles et que la séquence n’a pas du tout fonctionné. Nous avons travaillé sur « l’Enfant des manèges », d’André Chedid, je leur demandé d’écrire la suite de la nouvelle. Les textes produits m’ont un peu désespérée, ils sont tels que je les attendais (a posteriori je me rends compte que j’avais en fait installé les conditions pour qu’ils écrivent des textes décevants : c’est moins dangereux, il y a moins de risques d’être déçu), des textes constitués essentiellement à partir de dialogues (« salut, comment tu vas ? ça va bien et toi ? Allez, au revoir… »). J’essaie bien en correction de leur faire réécrire les textes sans dialogues, en les guidant, mais sans grand résultat.
Le livre de Pef va finir par entrer en résonance avec cette nécessité de trouver une alternative au dialogue.
Parfois une activité naît fortuitement, d’une rencontre entre un besoin et un support possible. J’ai sélectionné seize portraits, les plus variés possible, avec des enfants de pays différents, ayant pour point commun de ne comporter aucun dialogue, aucun discours direct. Et j’ai demandé aux élèves de choisir, en groupe des enfants et de les faire se rencontrer, sans utiliser de dialogue. Panique à bord : « Mais comment ils peuvent se parler si on ne met pas de dialogue, mais qu’est-ce qu’on va dire s’ils ne se parlent pas ? » Et puis vient l’idée de lire les petits textes, de leur trouver un point commun. Certains démarrent vite, d’autres mettent quarante minutes à comprendre qu’il ne faut pas utiliser de dialogues. Je ne donne pas de solution, je passe dans les groupes en lisant leur travail, en m’intéressant à leur choix, en constatant l’utilisation ou non de dialogues… Et je ramasse en fin d’heure les portraits. Un groupe a voulu faire se rencontrer tous les personnages, c’est un tourbillon de rencontres sans queue ni tête, du point de vue de la narration, ce n’est pas très intéressant. D’autres ont écrit deux lignes, parce que faire la différence entre récit et dialogue, c’est dur. Et puis il y a deux petits bijoux. Deux ovnis (j’en ai corrigé l’orthographe, c’est tout) :
La rencontre entre deux élèves différents
Un dimanche dans le parc, aux balançoires, une petite fille se nommant Martine fondit en larmes. Un peu plus loin dans le parc, un petit garçon entendit des petits cris, il regarda et vit Martine. Léopold s'approcha pour la consoler, elle lui raconta toute l'histoire. Léopold lui raconta aussi pourquoi il collectait ses poux. Martine se sentit bien malgré ses poux. Léopold lui tendit la main, elle l'accepta malgré tout. (Vincent et Servane)
La rencontre entre Zoé et Martine
Un jour, Zoé alla en récréation et joua au football. Elle tira dans le ballon et le ballon atterrit dans le jardin de Martine. Elle se baissa pour ramasser le ballon, elle se releva et tout à coup, elle voit le père de Martine la frapper. Elle s'en alla vite chez elle, et elle prévint son père pour qu'il aille à la police porter p1ainte contre le père de Martine. Le lendemain, dans la cour de récréation, Martine n'était pas là, car elle avait la trace des mains. Elle ne viendra pas tant que la trace ne sera pas partie. (Kelly, Cindy, Nelson et Warren)
A partir de ces deux textes que j’ai redistribués aux élèves, nous avons travaillé sur les façons d’éviter les dialogues. D’un seul coup l’exercice est devenu simple et motivant : les textes étaient valorisés, les méthodes avaient déjà été utilisées, il suffisait de les retrouver. Et j’avais réussi à leur donner la chance de se mettre en valeur, de réaliser de belles choses. Mon regard a changé sur leurs capacités, j’ai pris plaisir à les lire ; leur regard s’est transformé en regard grammatical, pour un temps seulement, mais c’est toujours ça de gagné. Et ils ont pris un réel plaisir à inventer des rencontres.
D'après Alexia Decottignies.
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