Il s'agit d'une activité d'oral où les élèves discutent du
sens d'un texte et de son interprétation.
J'ai donné à mes élèves
cette image.
Cette double
consigne l'accompagnait.
Que voit-on? Quelle histoire pourrait-on inventer
à partir de cette image. |
La démarche est collective. Les élèves devaient donc décrire
la tasse et se mettre à imaginer des histoires possibles.. En fin de
discussion, moment d'écriture. Voici la production d'un groupe.
Au début, quand on a observé l'image pour la première
fois, nous avons bien vu que cette photo ne représentait pas une
tasse brisée, mais une tasse découpée. C'était comme si quelqu'un
l'avait sciée par le milieu. Nous avons tout de suite imaginé que
cette image pourrait illustrer un texte plutôt comique. Gontran a
parlé d'un karatéka japonais furieux qui , dans un accès de colère,
aurait coupé la tasse du tranchant de la main. Samuel lui, a inventé
l'histoire d'un monsieur très myope qui, croyant couper sa tartine,
a découpé sa tasse avec son couteau à pain.
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Dans un deuxième temps, j'ai proposé une nouvelle démarche.
En plus de l'image, j'ai donné à lire le poème de Prévert: Déjeuner du
matin.
Déjeuner du matin
Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la
tasse de café Il a mis le sucre Dans le café au lait Avec
la petite cuiller Il a tourné Il a bu le café au lait Et il
a reposé la tasse Sans me parler Il a allumé Une
cigarette
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Il a fait des ronds Avec la fumée Il a mis les cendres
Dans le cendrier Sans me parler Sans me regarder Il
s'est levé Il a mis son chapeau sur sa tête Il a mis son
manteau de pluie Parce qu'il pleuvait Et il est parti Sous
la pluie Sans une parole Sans me regarder Et moi j'ai
pris Ma tête dans ma main Et j'ai pleuré
Jacques Prévert, Paroles, 1946 |
. La classe etait divisée en deux groupes: un groupe de
"parleurs", six élèves volontaires et un groupe "d'écoutants", tous les
autres. Les "parleurs" devaient expliquer en quoi cette image illustrait
le poème, "les écoutants" eux, devaient prendre des notes sur ce qui
allait être dit . Les écoutants devaient rester silencieux mais pouvaient
noter sur leur fiche les idées qu'ils pourraient exprimer par la suite. La
séance a été riche d'enseignements. Je donne pour exemple les notes prises
par Justine.
Le poème parle d'une tasse ( mais il n'y a pas de lait) C'est
le déjeuner, du café, c'est le matin. Le matin, des fois ça ne
va pas. La tasse brisée c'est comme un cœur brisé. Le texte se
répète. Les larmes de la fille ont brisé la tasse. Ca renvoie au
cœur brisé. Le fond de l'image est gris. Ca représente la pluie
de dehors. Ca représente aussi la tristesse de cette fille parce que
le gris est triste. La fumée blanche de l'image : ca pourrait
être la fumée de la cigarette. L'ombre de l'homme qui s'en va.
La tasse est brisée en deux. La tasse est ronde comme un cœur.
C'est vraiment un coeur brisé. Et si la tasse c'était l'amour ?(
amour = boire le café à deux. ) L'image est symbolique.
Rajouté par Justine L'ombre blanche et le gris c'est
l'amour qui est parti en fumée.
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Peu à peu, au cours de la discussion, la portée symbolique
de l' image s'est dessinée. Au début de la conversation, les élèves ont
cherché un rapport d'évidence: " On voit bien dans le texte qu'il y
a une tasse et du café…". Mais peu à peu, l' analyse a glissé du
sens propre au sens figuré, de l'image à la métaphore. "La tasse
brisée c'est comme quand on dit un cœur brisé" Cette phrase a été
un moment clef du débat où l'image a quitté son statut d'illustration ,
pour prendre celui plus complexe, de l'image comme interprétation
"décentrée"du texte. On repère aussi ce mouvement dans les tentatives
d'analyse de l'arrière plan. Du gris associé à la pluie, on passe au
gris-tristesse, au gris- fin de l'amour.
Nous avons recommencé la même démarche mais cette fois sur autre texte:
Sébastien Parfait Citoyen de Marcello Argili . Cette courte
nouvelle raconte la vie banale et terriblement réglée de Sébastien, le
plus parfait des citoyens. Sans personnalité, cet homme obéit à ses
supérieurs et organise sa vie selon un rituel immuable. Or, un jour la
machine se casse et Sébastien bascule dans la folie.
Sébastien, parfait citoyen , Marcello Argilli
Voici l'histoire de Sébastien, le plus parfait des citoyens.
Employé zélé, exemplaire, il s'efforçait toujours de
plaire. -Bonjour, monsieur le Président, je vous salue
respectueusement. A vos ordres, monsieur le Directeur, ce sera fait
sans faute tout à l'heure... Se comportant toujours ainsi, il
passait son temps à dire oui. Chaque matin, après son bain, il
trempait son croissant dans son café brûlant, il achetait au kiosque
ses journaux, puis, bondissant dans le métro, il arrivait ponctuel
au bureau. Toute la matinée il travaillait d'arrache-pied, courait à
la cantine lorsque sonnait midi (spaghettis, tranche de rôti et pour
finir un fruit), et de nouveau, jusqu'à six heures, le bureau. Après
quoi, dans le parc, il faisait quelques pas, donnant le bras à sa
fiancée, lui offrait un chocolat glacé, puis l'emmenait au cinéma. A
neuf heures il regagnait sa maisonnette, il préparait sa modeste
dînette, puis, s'installant sur le canapé, bien au chaud, il
regardait une heure la télé, et à dix heures, allez hop ! au
dodo. Tous les jours, sans exception, comme une montre de
précision. Le lendemain matin (eh bien oui, que voulez-vous,
c'est ainsi), Sébastien reprenait son train-train: le bain, le
croissant dans le café brûlant, les journaux, le métro, le bureau,
la cantine à midi (spaghettis, tranche de rôti et pour finir un
fruit), de nouveau le bureau, quelques pas avec la fiancée, le
chocolat glacé, le cinéma, la dînette à la maisonnette, le canapé,
la télé bien au chaud, et à dix heures, allez hop ! au
dodo. Toujours pareil, quelle merveille ! Il avait vraiment tout
pour plaire, ce petit bonhomme exemplaire : c'était un citoyen
modèle, qui jamais ne faisait marcher sa cervelle. Mais voilà
qu'à force de faire aujourd'hui comme hier, été comme hiver, il
perdit peu a peu la raison, et sombra dans la confusion. Un
matin (eh bien, oui, que voulez-vous, c'est ainsi), Sébastien trempa
son croissant dans son bain, avec son café il se lava le bout du
nez, il acheta au kiosque le métro et bondit dans les journaux.
Toute la matinée à la cantine il travailla d'arrache-pied, et
consacra l'après-midi à dévorer des spaghettis. Après quoi, oubliant
sa fiancée, dans le cinéma il fit quelques pas, donnant le bras à un
chocolat glacé. Le soir, installé bien au chaud sur la télé, il
regarda une heure le canapé, et à dix heures, allez hop ! au
bureau. Pauvre, pauvre Sébastien, il ne s'y retrouvait plus très
bien : ayant perdu l'usage de la raison, il nageait en pleine
confusion. Au réveil le lendemain, après le bureau, il prit son
bain dans son café chaud, s'essuya avec les journaux, but de l'eau
savonneuse qu'il trouva délicieuse, et allez hop ! au dodo dans le
métro. A la cantine à midi il mangea d'abord le fruit puis une
tranche de spaghetti, après quoi il travailla d'arrache-pied au
cinéma, et dans le parc, au lieu du chocolat glacé, il lécha sa
fiancée. Dans sa maisonnette, à neuf heures, il dévora le
téléviseur, et depuis plus d'une heure il regardait sa dînette,
quand soudain (eh bien oui, que voulez-vous, c'est ainsi, et tant
pis si ça vous désole) entrèrent deux infirmiers qui lui passèrent
la camisole. A l'asile de fous on l'emmena en fourgonnette, et voilà
comment, sans tambour ni trompette, finit l'histoire de Sébastien,
le plus parfait des citoyens, employé zélé et modèle, qui jamais ne
faisait marcher sa cervelle.
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Je reproduis ici le rapport d'un autre groupe rédigé à partir des notes
de chacun.
Quand on a lu le deuxième texte, on s'est aperçu que l'image
pouvait être comprise encore d'une autre façon. Dans la nouvelle"
Sébastien parfait citoyen," l'auteur raconte d'abord la vie monotone
de Sébastien. Le fond gris de l'image pourrait illustrer cette
monotonie. Le gris n'est pas agréable, c'est une couleur fade et il
n'y a rien qui ressort. La tasse brisée explique bien le texte.
Comme dans Prévert le personnage met du café dans une tasse mais ce
n'est pas le plus important. Tout à coup, la vie de Sébastien
change. Il commence à mélanger les choses. Il se trompe dans ses
habitudes et à la fin plus rien ne fonctionne. D'ailleurs il finit à
l'hôpital. Sa vie est brisée comme une tasse. Plus rien ne marche.
Le texte veut peut être dire qu'il ne faut pas toujours faire comme
les autres et qu'il faut être soi-même sinon on risque d'avoir sa
"vie brisée".
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Il est étonnant de constater comment les élèves se débarrassent très
vite des problèmes de proximité entre thème du texte et thème de l'image.
Seul le " signifié" est gardé, l'image devenant alors un autre discours
sur le texte où s'illustrent symboles, métaphores, sens figuré, voire
message politique
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