Voici un texte que l'on peut donner
en lecture cursive. Il s'agit d'une sorcière qui, pour devenir
la reine des sorcières, décide de se moderniser : aspirateur
en guise de balai, cocotte minute à la place du chaudron, ordinateur faisant
office du grimoire, look branché… Hélas, la réalité fuit
un peu et de malheurs en malheurs, la pauvre Échalote, va vivre
des moments douloureux et drôles.
Je ne propose pas ici de démarches de lecture accompagnée
ni de manipulations, mais des piste pour rendre compte de la lecture.
Après la présentation de la sorcière on ne peut plus
conventionnelle et de la situation initiale, je propose de lire chapitre
après chapitre en proposant à chaque fois un compte-rendu
différent. Bien sûr, il est possible de faire imaginer aux élèves
quel type de compte-rendu proposer: mais voilà juste quelques pistes:
L'aspirateur.
- écrire
une lettre de protestation au constructeur.
- Un échange
téléphonique avec le service après-vente.
- Une
fiche à destination du site web des sorcières: les dangers
de l'aspirateur (etc.)
La cocotte- minute
- rédiger
le mode d'emploi "spécial sorcière" pour l'utilisation
de la cocotte minute
- la
lettre de gargouille se plaignant à Échalote du mauvais
sort qu'elle a eu à subir.
- bien
sûr, il est aussi possible de repérer toutes les expressions
où l'auteur joue sur la couleur (etc.)
Les atours:
- dessiner
tous les vêtements d' Échalote.( pourquoi ne pas faire
une poupée en carton que l'on peut habiller?)
- travailler
aussi sous forme de dessin sur les comparaisons ( motte de beurre, ange,
rocker..)présentes dans le texte. (etc.)
Le grimoire
- le
dessin de la maison où les mots ont " explosé".
- Proposer
un dessin de la maison et demander aux élèves de replacer
(en suivant scrupuleusement le texte) les listes de mots ou de phrases
" Des morceaux de phrases
virevoltèrent autour des poutres avec des sifflements aigus,
jetant le corbeau à bas de son perchoir. Des éclats de
mots crépitèrent en cascade le long des murs et de la
cheminée, chassant le chat dans une trombe de suie. Les pluriels
roulèrent sous le buffet, un gros singulier arrêta le
crapaud dans sa fuite. Des verbes tombèrent dans le chaudron,
des adjectifs se perdirent dans les rameaux du balai. Les S s'accrochèrent
aux T dans des chuintements de serpents tandis que les L culbutaient
sous les R avec un bruit d'estomac qui gargouille."
Enfin, pourquoi ne pas imaginer en prolongement un catalogue de sorcière avec une écriture qui pourrait suivre le modèle suivant:
Objet: tasse à métamorphose: Description : tasse en porcelaine ( divers coloris) Disponible à l'unité ou par lot de six. Livré avec sous-tasse. Utilisation: transforme tous ceux qui l'utilisent an grenouille ou en asticot ( selon la couleur choisie) Témoignage: Sorcière Citrouille, Paris. " Pendant des années j'ai souffert à cause de ma cousine Estrella. Il faut dire que cette horrible demoiselle est une fée qui adore les enfants. Elle ne me gênerait pas trop si elle habitait en Afrique ou au Portugal. Mais , voilà, elle vit juste en face de chez moi, de l'autre côté de la rue. Vous savez que, comme toutes les sorcières, je ne supporte pas les cris des enfants. Ils m'écorchent les oreilles et font tourner mes potions. Imaginez l'horreur que je vis tous les mercredis quand Estrella invite tous les gosses du quartier à venir s'amuser avec elle. Mais un jour j'ai découvert les tasses à métamorphose.
La première , je l'ai essayée sur mon brave facteur
Marcel. Merveilleux! A peine avait-il touché le bord de la
tasse qu'il se transformait en grenouille. Et le plus drôle,
c'est qu'il se promène tous les jours dans le quartier, avec
un timbre collé au bout de la langue. |
La sorcière Échalote
Échalote était une vraie
sorcière, tordue, bossue, au nez crochu,
avec des verrues sur le nez et des touffes de poils piquées dans
les verrues. Elle portait un chapeau pointu tout noir, un long manteau
tout noir, possédait un chat tout noir, un corbeau tout noir, et
un crapaud tout blanc par suite d'une erreur de manipulation.
Bref,
c'était une bien vilaine sorcière
!
Mais il y avait encore pire : c'est
qu'elle voulait à tout prix devenir la reine des sorcières
de la forêt.
Pour y parvenir,
elle commanda un jour un gros catalogue parce qu'elle savait qu'on y trouvait
absolument de tout ; notamment des objets étranges dont ne parlait
jamais son vieux livre de magie noire.
Le
matin où le facteur le lui apporta
en le jetant par-dessus la clôture
de son jardin à maléfices, Échalote courut le ramasser,
donna un coup de pied au crapaud blanc pour le regonfler car il s'était
fait aplatir en recevant le paquet sur la tête, puis elle alla
s'enfermer chez elle pour lire son catalogue.
le balai à moteur
Oubliés les grimoires, oubliés
les manuels de sorcellerie, les philtres d'amour et les recettes à sortilèges
! Échalote passa une grande partie de la journée à parcourir
feuille après feuille, image après image, les neuf cent
quatre-vingt-dix-neuf pages de son nouvel ouvrage.
-
Voilà ce qu'il me faut ! s'écria-t-elle
soudain en découvrant un bel aspirateur à piles. Avec un
balai à
moteur comme celui-là,
je volerai plus vite et plus haut au-dessus des
forêts,
des champs et des toits du village. Les autres en baveront d'envie, et
je serai élue reine au prochain bal des sorcières.
Quelques
jours plus tard, son aspirateur lui fut livré dans une belle et grande boîte. C'était un splendide appareil
rouge, avec un long tuyau et réservoir à poussière
en verre afin de pouvoir contrôler son remplissage.
- Ça
ne m'inspire pas confiance, dit le corbeau.
- Elle partira sans moi, grogna le chat en allant se coucher dans la suie de
la cheminée.
~ Moi, je n'ai
pas peur, fit le crapaud, collant son gros œil contre l'embouchure.
Echalote
mit l'appareil en route. La seconde d'après - zoup !
- le crapaud aspiré se
retrouva dans le bac de verre.
-
Tiens, la marche arrière était
enclenchée, s'étonna la sorcière cependant que le
chat rigolait dans sa suie et que le corbeau
claquait du bec. Ne crains rien, reprit-elle, je connais suffisamment
de formules magiques pour inverser la vapeur et te sortir de là.
-
Tu devrais plutôt lire la notice
d'utilisation, conseilla le corbeau.
-
Balivernes ! Je commande à mon
balai depuis plus de trois cents ans.
Celui-ci
n'est guère différent
des autres, si ce n'est qu'il est plus moderne. Le catalogue ne disait-il
pas :
" Rend tous les services d'un
balai, la puissance en plus " ?
L'oiseau
alla s'installer sur la plus haute poutre tandis que le chat se tassait
un peu plus dans son recoin de cheminée.
Bien à l'abri.
Echalote s'assit à califourchon
sur l'aspirateur, prononça trois paroles
magiques pour lui donner la puissance de trois vulgaires balais.
-
Gare à tes poils ! avertit la
sorcière. Je vais passer par la cheminée. Quant à toi, le crapaud, prépare-toi à être éjecté.
À peine
le bouton enfoncé, l'appareil se mit à ruer
comme un cheval sauvage, mais il ne décolla
point. Au contraire, il se mit à aspirer, à aspirer. Aucun
ordre, aucune formule magique ne put l'arrêter. En un instant,
tout fut nettoyé : la table de ses poudres et de ses pots, l'armoire
de ses fioles et de ses
livres de sorcellerie, le sol
de ses araignées, les poutres de leurs insectes et du corbeau, avalé dans un tourbillon
de plumes, la cheminée de sa suie et de son locataire miaulant,
happé par le bout de la queue.
Echalote attrapa l'autre bout du chat pour le retenir, mais son bras disparut à son tour dans le tuyau
de l'aspirateur.
Elle se retrouva bientôt tout entière dans le compartiment à poussière,
coincée entre le chat, le corbeau, le crapaud et ses ustensiles.
Quand l'aspirateur fut bien rempli, tout près
d'exploser, il s'arrêta de lui-même... Jamais
maison n'avait été aussi propre. À tel point
que plus rien ne rappelait l'antre d'une sorcière. L'appareil était vraiment le roi du ménage,
mais ce n'était pas pour cela qu'Echalote l'avait commandé.
- Et maintenant ? demanda le corbeau
en retirant sa patte de la bouche du crapaud.
Échalote ne répondit pas,
mais lorsqu'elle réussit enfin à s'extraire - centimètre
par centimètre - de l'étroit conduit, et
récupérer
les uns après les autres ses instruments,
son chat, son corbeau et son crapaud gris de
poussière, la sorcière enfouit l'aspirateur dans son
placard avec la ferme intention de ne plus jamais l'en ressortir.
- Ce n'est pas aujourd'hui que je deviendrai la plus rapide des sorcières, ronchonna-t-elle en enfourchant son vieux balai
pour une courte promenade de récupération.
Le chaudron magique
Cela faisait un moment qu'Echalote
contemplait l'image d'une cocotte-minute sur son catalogue.
-
C'est exactement ce qu'il me faut ! Avec une cocotte magique comme celle-là, le suis sûre de réussir
toutes mes recettes. Les autres en resteront muettes de jalousie, et
je serai élue reine au prochain bal des sorcières.
Elle
passa commande le jour même
et, peu de temps après, reçut une jolie boîte contenant
une cocotte-minute en acier chromé.
-
Je me méfie, fit le chat en se
coulant prudemment dans son tas de suie.
-
Je préfère m'éloigner,
croassa le corbeau en se perchant sur une poutre. Ça pourrait
bien éclater tout seul, ce machin-là.
Le
crapaud, lui, ne dit rien ; il suivit - plop ! plop ! plop ! - la sorcière dans le jardin où elle
abandonna son vieux chaudron au milieu des orties, puis revint - plop
! plop ! plop ! - et sauta sur la table pour la regarder préparer
une de ses innommables recettes.
Échalote ouvrit son livre de cuisine
magique, chercha un plat à réaliser facilement, en peu
de temps, et pour pas cher. Elle commença à couper les
salsifis en rondelles et les queues de lézards en lamelles, les
poireaux en carreaux et les nids d'hirondelles en morceaux, râpa
de la peau de serpent et du gruyère moisi, rajouta de l'eau, du
serpolet, de la poudre de perlimpinpin et quatre formules magiques Puis
elle porta le tout sur le feu, vérifia que le couvercle était
bien vissé et, pendant que cela chauffait, elle partit inviter
Gargouille en enfourchant son vieux balai.
Gargouille était une méchante épicière
qui attirait les enfants avec des bonbons, et les entraînait dans
sa cave pour les transformer en petits salés. Elle ne supportait
la vie qu'en noir et blanc, ou dans les nuances du gris, ce qui ne rendait
guère, sa présence agréable. Mais c'est elle qui
nommait la reine lors du bal des sorcières
en lui décernant le grand Balai Noir.
Comme Echalote voulait le titre, elle avait décidé de charmer
Gargouille d'avance en lui préparant
son plat favori.
Les deux sorcières arrivèrent
comme la cocotte-minute se mettait à siffler par à-coups.
Gargouille avait grise mine, et ses cheveux blancs retombaient comme
des serpents sur ses maigres épaules. Elle jeta un regard noir
autour d'elle en entrant, découvrit le chat dans la suie et le
corbeau dans l'ombre des solives.
- Drôle de crapaud, s étonna-t-elle en
regardant sur quoi elle venait de marcher, il est malade ? Je le trouve tout pâle, d'un
teint crayeux...
Echalote lui montra son nouveau chaudron magique qui continuait à toussoter sur le feu. L'autre
en devint blême de jalousie. Elle essaya
de masquer son émotion en demandant
d'une voix blanche :
- C'est là-dedans que tu prépares ta magie noire ?
Devant son
air sombre, et pour la mettre à l'aise - car Gargouille broyait
toujours des idées grises -Echalote lui
offrit un grand verre de lait de couleuvre, puis proposa de passer à table.
-
Ton message était assez obscur,
dit l'épicière en s'asseyant.
N'en prends pas ombrage, mais je flaire là-dessous
quelque intention peu claire.
La cocotte,
maintenant, sifflait sans arrêt
en faisant tourner la toupie du couvercle à toute vitesse.
- Criss ! Criss !
répondait le corbeau en portant son
effort sur les i, cependant que le chat regardait
de tous côtés pour trouver cet étrange canari.
La sorcière
apporta la cocotte sur la table, décida d'ajouter
quelques paroles magiques aux quatre formules qui mijotaient
déjà avec les salsifis, les
queues de lézards et les poireaux.
Excédée par le mélange
bizarre qui bouillonnait en elle, et parce qu'Échalote l'utilisait
sans tenir compte du mode d'emploi, la cocotte décida de lui en
faire voir de toutes les couleurs. Elle se
mit à trépigner de colère, fit sauter son bobichon. Il
y eut un brusque crachotement - le crapaud
approcha son nez - puis un jet de couleur violente. Le crapaud rougit
d'un coup. D'un beau rouge vif des pieds à la tête. Gargouille poussa un cri, recula, mais déjà un superbe jaune d'œuf lui
avait sauté à la poitrine, la
faisant ressembler à une gigantesque omelette.
Elle se leva, se réfugia dans
un angle de la pièce.
- Quelle peur bleue ! s'exclama-t-elle. J'ai
cru que ton nouveau chaudron m'explosait à la figure.
- C'est vrai, tu es verte de peur.
- Cesse de dire n'importe quoi, s'emporta l'épicière, et
arrête ce délire de couleurs ! Vite ! Je ne peux
plus supporter ces teintes arc-en-ciel qui
jaillissent par saccades.
Mais Échalote
avait beau essayer de dévisser le couvercle, il restait
collé à la marmite qui continuait à cracher
ses vapeurs irisées. Bientôt, la chaumière ne fut
plus qu'un incroyable bariolis. Le
corbeau était devenu un oiseau de paradis au plumage lustré,
plombé, bleu azur, avec une nuance
aubergine sur les ailes et, sur le dos, des reflets tournesol et ardoise.
Le chat, surpris dans sa suie dorée, avait viré au roux
tigré, moiré d'aurore,
de brique, de pain brûlé, et d'un
mélange feuille morte et groseille avec des
touffes de poils argentés à la naissance des pattes. Toute
la maison brillait de paillettes roses.
Gargouille voyait rouge et entra dans une colère noire.
- Allons, allons, lu ne vas pas en faire une jaunisse,
tentait de la calmer Échalote.
Leurs paroles prirent un ton olivâtre,
mi-figue mi-raisin, avec des nuances épinard et des variantes lie-de-vin.
Verte
de rage, l'épicière s'enfuit en claquant
la porte.
- Vraiment,
il n'y a pas pire que de voir la vie en rose ! Quelle incapable, cette Échalote ! Je suis sûre
qu'après cette débandade de
couleurs, je vais encore passer une nuit blanche.
Rouge
de honte, Échalote la regardait
filer dans le ciel orange, son balai perdant derrière lui une
traînée mauve. Puis Gargouille disparut dans un poudroiement
bleuté, fondue dans la nacre du soir qui étendait ses feux à l'horizon.
Quand
la sorcière rentra dans sa
maison, la cocotte
magique avait fini de
se vider, et les couleurs retombaient en pluie fine
sur le sol, tels des pétales de fleurs multicolores ou des papillons bigarrés. La chaumière retrouva sa
teinte normale gris souris, le chat sa couleur charbon, et le corbeau
son noir bleuté. Seul le crapaud resta tout rouge.
L'appareil aurait fait le bonheur d'un
peintre, mais ce n'est pas pour cela qu'Echalote l'avait acheté.
- Et maintenant ? demanda le chat qui
reniflait la suie d'un air perplexe.
Échalote ne répondit
pas. Elle attrapa sa cocotte en acier chromé,
la remisa dans le placard près de l'aspirateur, avec la ferme
intention de ne jamais la réutiliser.
Et elle sortit
rechercher son vieux chaudron
les atours d'Échalote
Échalote tournait les pages de son catalogue d'un air ravi et soucieux à la
fois : ravi car il y avait tant de belles robes et de chapeaux à commander,
soucieux car elle n'arrivait pas vraiment à taire son choix. Finalement
elle opta pour cinq tenues différentes en s'exclamant :
-
Avec des robes aussi merveilleuses et aussi variées, je vais faire sensation. Les autres en suffoqueront
de surprise, et je serai la reine du prochain bal des sorcières.
Quand
le livreur sonna, quelques jours plus tard, Echalote s'empressa d'aller ouvrir, écrasant au passage
le crapaud qui sautillait. Elle prit les paquets, courut les déposer
sur sa table, puis entreprit de les déballer avec des gestes fébriles.
Le chat fit la remarque que la dernière fois qu'elle s'était
mise à chanter de cette façon, c'était à l'occasion
de ses cent quatre-vingt-dix-neuf printemps.
-
Je m'en souviens, dit le corbeau. Elle avait remplacé les bougies de son gâteau par des fusées.
-
L'explosion était jolie, souffla
le crapaud en essayant de se regonfler tout seul.
-
Oui, reprit le chat, mais elle nous avait coûté la peau du dos. On ferait peut-être
bien de courir aux abris.
- Sots que
vous êtes, se fâcha
la sorcière. Vous ne vous sentez bien que le nez dans la suie
ou la tête dans les toiles d'araignées.
Le
chat disparut dans son coin de cheminée,
le corbeau se tassa sur sa poutre tandis que le crapaud s'installait
au pied du grand miroir pour admirer sa maîtresse.
Echalote enfila d'abord une belle robe bleue,
pailletée d'argent qui s'évasait à la taille et
descendait jusqu'aux chevilles. Elle se mira
dans la glace, tournoya pour donner du gonflant à l'habit.
- Ô mon
doux miroir, comment me trouves-tu ?
-
Il ne te manque que la baguette magique, répondit le chat. On dirait une bonne fée, un papillon
Joli prêt à voler d'une fleur à l'autre pour butiner
le miel délicieux...
- Assez
! tonna Echalote dont le visage avait viré à l'écarlate, ce qui n'était guère
seyant avec le bleu de la robe.
- Je ne donne que l'avis de ton miroir,
fit le matou d'une toute petite voix.
- Mais le ton est celui du chat : griffu,
persifleur, matois. Tu te moques dans tes moustaches.
- Je dis ce que je vois.
- Hum, hum...
grogna la sorcière en se regardant mieux. C'est vrai que ça
fait pervenche, bleu ciel et petite fée... Non, finalement cette
couleur et cette robe ne vont pas à mon teint ni à mon
statut de sorcière. Je vais essayer une tenue tout à fait
différente.
Elle retira sa robe bleue, passa une jupette
en cuir retenue par une ceinture en forme de chaîne, endossa un
blouson riveté de clous d'or avec des franges aux manches, et
troqua ses chaussures de sorcière contre des bottes noires.
-
Voilà, dit-elle en revenant devant
la glace.
Elle prit une pose déhanchée,
posa ses mains sur sa taille, demanda : Miroir,
beau miroir, comment me trouves-tu ?
Cette
fois ce fut le corbeau qui répondit
:
- Il ne te manque que le chewing-gum.
J'ai l'impression de voir une rockeuse, une de ces chanteuses modernes en
tête des hit-parades. Seulement...
-
Seulement ? répéta échalote,
un hoquet de soupçon dans la voix.
- Seulement, tu as les jambes cagneuses,
la voix criarde, et si on te donnait un micro, ton nez cognerait dedans.
-
Assez ! cria la sorcière qui avait
blêmi.
- Je ne donne que l'avis de ton miroir,
reprit l'oiseau en fausset.
- Mais le ton est celui du corbeau : piquant,
ironique, railleur. Tu claques du bec comme une pie jacasse.
- Je dis ce que je pense.
-
Hum, hum... réfléchit la
sorcière en étudiant son costume. Je croyais que le noir
m'irait bien, mais c'est vrai que le cuir me moule un brin, que la jupette
est un peu trop courte, et qu'on s'attend à m'entendre piauler.
Elle
quitta sa tenue, s'affubla d'une robe jaune et d'un chapeau cloche.
-
Superbe ! s'exclama-t-elle pour clouer le bec à son miroir. Juste
ce qu'il me faut. !
- J'ai déjà vu
une de ces fleurs des champs quelque part, pouffa le chat.
Elle
ferait mourir de rire un régiment
de tournesols.
- J'ignorais qu'on pouvait
.se renverser un chaudron sur la tête, renchérit le corbeau.
-
Ignares ! tempêta la sorcière.
Vous ne savez pas ce qui est beau.
Mais
elle trouva qu'elle faisait un peu motte de beurre sous une cloche, et décida de revêtir
un ensemble rouge avec une casquette Gavroche.
-
Hi ! Hi ! Hi ! caquela
le corbeau. La voilà devenue fleur de talus. Je suis sûr
qu'on lui demanderait cher pour l'accepter dans un carré de coquelicots.
-
Je ne savais pas que les galettes se portaient sur la tête cette année,
gloussa le chat.
- Vous n'êtes que de stupides lourdauds
sans aucun goût !
Cette fois.
Echalote s'emporta pour de bon. Elle attrapa son balai, frappa un grand coup
sur la poutre où grimaçait
le corbeau, puis dans la suie où rigolait le chat. Elle se regarda à nouveau
dans la glace, trouva en effet que le rouge lui donnait un air de fraise
des bois, et que ce n'était pas très flatteur pour une
sorcière. Elle mit alors une robe toute blanche, avec de la dentelle
aux épaules et aux poignets, et se noua une couronne de fleurs
dans les cheveux.
- Miroir, petit miroir,
attention à ce
que lu vas dire.
Comme les deux compères restaient
cois, l'un dans sa cheminée, l'autre dans la charpente, le crapaud
toussa pour s'éclaircir la voix. Ses yeux brillaient d'une admiration
sincère quand il annonça :
- On dirait un ange !
-
Un ange ? s'étrangla la sorcière
en faisant un bond comme si un prince charmant l'avait embrassée.
La
bestiole hocha la tête, émue
par tant de beauté. Elle précisa encore : - Un ange tout
droit venu du ciel. C'en fut trop ! D'un coup de balai, Echalote l'envoya
rouler sous un meuble.
- Une fée, une rockeuse,
une fleur des champs ou de talus, et maintenant
un ange ! fulminait la sorcière.
- Je ne donne que l'avis de ton miroir,
coassa le malheureux.
- Mais le ton est celui du crapaud : baveux,
visqueux, pustuleux. Tu souffles des sottises comme un crapelet à peine
sorti de l'œuf.
- J'exprime ce que je ressens.
-
Hum, hum... toussota la sorcière
en s'observant dans la glace. C'est vrai qu'on me dirait descendue d'un
nuage. Il ne me manque que la harpe dans les bras et les petites ailes
dans le dos... En fait, mon erreur a été de commander des
habits de jour alors que je suis une créature de la nuit.
Elle
enleva sa robe d'un geste rageur, remit son long manteau tout noir, son grand
chapeau pointu, et fourra les vêtements en boule dans son placard,
entre l'aspirateur et la cocotte-minute, avec la ferme intention de ne plus
Jamais les porter.
- Ce n'est encore
pas aujourd'hui que je trouverai le moyen de surpasser les autres sorcières... maugréa-t-elle
sans remarquer les trois têtes, qui, prudemment, ressortaient de
l'ombre.
Le grimoire électronique
Echalote se désolait : non seulement elle n'avait rien pu apprendre
sur ce que préparaient les autres sorcières, mais elle avait
bien du mal à trouver l'inspiration dans son catalogue. Elle le
referma, le posa sur un coin de la table. Au moment de se lever, elle le
heurta de la hanche. Elle voulut le rattraper, agrippa une page au hasard.
La feuille se déchira comme le livre tombait à terre. Machinalement,
elle y jeta un coup d'œil.
- Mais...
Je n'y avais pas remarqué ça, à celle-là.
La
page qu'elle avait sous les yeux présentait
un superbe ordinateur. Echalote sentit le feu lui monter aux joues à mesure
qu'elle lisait le descriptif.
- Voilà ce qu'il me faut... ! exulta-t-elle.
Avec ce grimoire électronique, plus besoin de chercher dans quel
manuel se cache telle ou telle formule. Je ne risque plus de me tromper
dans mes sortilèges ou dans mes philtres sous prétexte
qu'une feuille est déchirée ou que deux pages sont restées
collées ensemble. Je deviendrai la plus puissante parce que la
plus moderne ; les autres en piétineront de rage, et je serai élue
reine au prochain bal des sorcières.
La
même semaine, Echalote reçut
son volumineux colis. Elle installa l'ordinateur sur la table, le clavier
devant elle, brancha l'appareil, et alla chercher ses vieux ouvrages
afin d'en graver tout le contenu sur les disquettes.
-
Je pressens le pire, avertit le chat en risquant un œil hors de sa suie.
- Si cela devait mal tourner, dit le corbeau,
je te ferai une petite place sur ma poutre.
...
Les heures s'écoulaient, lentes,
presque silencieuses, à peine troublées par le froissement
des pages qu'Echalote retranscrivait et qui s'affichaient sur son écran.
Le crapaud trouva la maisonnée si calme qu'il pointa la tête
de sous son meuble.
- Tsss ! Tsss ! fit le chat.
- Krrr ! Krrr ! fit le corbeau.
-
C'est parce que vous êtes noirs
tous les deux que vous êtes jaloux de moi, répliqua le crapaud.
- Ah ! Ah ! Ah ! Jaloux d'un sac de pois
! pouffa le chat.
- Ho ! Ho ! Ho ! Aussi
futé qu'un
haricot ! se moqua le corbeau. La sorcière se retourna d'un bloc.
- Ça suffit, vous trois ! J'ai besoin de toute mon attention pour
travailler.
Chacun retourna dans son
coin, le chat dans sa suie, le crapaud dans sa poussière et le corbeau dans
ses toiles d'araignées. Quand Echalote ferma enfin son dernier
grimoire, le soir était tombé. Elle avait mal dans le dos,
ses doigts tremblaient d'avoir tant frappé sur son clavier mais
elle était satisfaite : la totalité de ses recettes de
magie noire se trouvait désormais en mémoire.
- Surtout ne pas oublier de valider, termina-t-elle,
sinon tout mon travail s'effacera comme neige au soleil.
Pour être bien certaine que l'ordinateur
conserve la masse énorme des connaissances qu'elle venait de lui
faire ingurgiter, la sorcière crut prudent de prononcer quatre
paroles magiques avant d'appuyer sur la touche. Mais les formules déclenchèrent
un virus chez la machine qui ne fonctionnait qu'à la pure raison...
L'appareil fit une brusque allergie, se mit à trembler de fièvre
grammaticale. Puis il éternua, éternua, éternua
si fort qu'il explosa dans un millier de jets de lettres. Des morceaux
de phrases virevoltèrent autour des poutres avec des sifflements
aigus, jetant le corbeau à bas de son perchoir. Des éclats
de mots crépitèrent en cascade le long des murs et de la
cheminée, chassant le chat dans une trombe de suie. Les pluriels
roulèrent sous le buffet, un gros singulier arrêta le crapaud
dans sa fuite. Des verbes tombèrent dans le chaudron, des adjectifs
se perdirent dans les rameaux du balai. Les S s'accrochèrent aux
T dans des chuintements de serpents tandis que les L culbutaient sous
les R avec un bruit d'estomac qui gargouille.
Echalote,
les bras ballants, ne savait plus que faire. Le crapaud s'entortilla les
pattes dans le fil, l'arracha de la prise en voulant se dégager. L'ordinateur fit « Bzzzoui
! », l'écran devint tout noir. Les mots, cependant, continuaient à tomber
par familles et à se briser sur le sol en une épaisse couche
de voyelles et de consonnes.
- Une chance qu'il nous reste l'oral pour
nous plaindre, miaula le chat.
- Voilà où finissent les
belles idées, croassa le corbeau de sa plus belle voix.
La
sorcière attrapa l'appareil,
le coinça tout au fond de son placard, sous l'aspirateur, la cocotte
et les vêtements, et se jura de ne même plus le regarder.
-
Ce n'est pas de cette façon que
je m'imposerai devant les autres, grommela-t-elle en aidant le crapaud à se
désentortiller de son fil.