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Le dimanche noyé de Grand-Père,
    
Geneviève Laurencin; Pef, Folio Benjamin

 

Comment les questions essentielles et existentielles peuvent être abordées dans une classe de 5ème de collège et surtout comment le livre, la lecture et la parole de l’adulte peuvent favoriser et ménager une rencontre entre des vies individuelles et une forme de culture universelle ?

 

A l’intérieur d’une séquence qui s’intitule « Qui suis-je ? », je propose à mes élèves de 5ème un texte qui explore la relation entre enfant et grand-père, pour travailler sur ce « je » hétéroclite, qui se trouve au centre d’un tissu de liens de tous ordres et de toutes natures. L’ouvrage est beau et parle sans complaisance, sans édulcoration de la vieillesse, de la mort. Le grand-père retourne vers l’enfance et c’est ce qui le rapproche de son petit-fils. La relation passe par le passé et par le jeu. Mais il s’agit aussi du jeu intergénérationnel, qui transmet la vie et le savoir, pour qu’un enfant puisse grandir sans rester englué dans un passé ou des événements trop prégnants. C’est le sens dynamique de la tradition, celle qui charge un individu, non pas de la culpabilité du passé et de la mort des parents, mais bien du devoir de la vie et de la recherche du bonheur.

 

Le texte intégral.
Dimanche, tout le mande fait la grasse matinée. Tout le monde, sauf Grégoire. Fichu Grégoire! Pressé de se lever, d'éclairer, de déjeuner, de s'habiller. Vite se tenir prêt.

Pour lui, le dimanche, c'est sacré. Pas d'école. Pas de cantine. Pas de copains pour l'embêter. Un papa, une maman qui restent là: "J'ai le temps, je te répare ça, je te sors, je te fais de bons petits plats."

Mais aussi, mais surtout... un grand père qui vient déjeuner et passer l’après-midi. Le grand-père adoré.

Celui qu'on appelle Papé, qui aime la mer, les bateaux, les courants, les marées. Autrefois commandant sur son cargo, Papé le gentil, le rigolo, pas sévère du tout, pas sérieux pour deux sous! Aussi, lorsqu’à midi, on sonne, Grégoire bondit, flanque sous son lit les petites autos, les soldats , le circuit. YOUPI! C'est lui! Papa, maman, j'ai tout rangé! C'est moi qui ouvre, c'est moi qui y vais! Et grand-père est là, sur le pas de la porte,..

Les lunettes prêtes à tomber, rafistolées avec du sparadrap. Le bas du pantalon retroussé, comme à la mer pour aller pêcher. La casquette enfoncée faut voir comment, pauvres oreilles dans le sens du vent! Les boutons de la chemise, du veston fâchés avec les boutonnières. L'écharpe qui traîne par terre. Les lacets, ça, il ne saura jamais faire. Et les, poches du manteau! De vraies sacoches à vélo, bourrées, pleines à craquer; dedans tous ses petits secrets, son couteau, ses petits carnets, ses stylos, sa monnaie, ses petites affaires.

Bien sûr, Papa Maman s'étonnent: "Ca ne va pas en s'arrangeant! Qu'est-ce qu'il lui prend? Fagoté, ficelé à la va-vite, il s'en fiche complètement!"

Toutefois, on n'ose pas trop dire. C'est souvent ça, vieillir... Grégoire, lui, trouve ça génial, extraordinaire, un grand-père qui s'habille n'importe comment... Com­me les enfants. "Super grand-père!"

Et, à table, ça continue... Le coude, le dos, la chaise jamais comme il faut. Alors toc! 11 cogne, renverse. Belle tache de vin sur la nappe brodée, amidonnée, pas facile à repasser. Et puis, il fait du bruit en mangeant. Les radis, la viande, clac clac clac les dents. Les sauces, les jus, ssssh ch hhh .,.lup en avalant!

Souvent, aussi, il coupe la parole, vide pas.­

 sa bouche avant de parler et... éclabousse en éternuant... comme ça, sans se gêner, sans se tourner, sans s'excuser. C'est pas tout! Le riz au lait avec gaufrettes, faut voir sa tête! Il chipote, fait le dégoûté. Beurk! Plus faim, mine de rien, le refile au voisin.

Bien sûr, Papa Maman s'étonnent: "De mieux en mieux! Qu'est-ce qu'il lui prend? Petit gâté, mal élevé, mal poli, il s'oublie, se croit tout permis!"

Toutefois, on n'ose pas trop dire. C'est souvent ça... vieillir... Grégoire, lui, trouve ça génial, extraordinaire, un grand-père qui se tient mal à table... Comme les enfants.

"Super grand-père!"

Peu de temps après… La vaisselle faite, rangée, le coup de balai donné, on décide un petit tour. Il fait beau, profitons-en. "Papé, où va-t-on?" Et Papé dit: "Le zoo!" Il adore voir les singes faire les idiots, se gratter, se disputer, montrer leur derrière.

"Super Grand-Père, moi aussi c'est ce que je préfère!"

Chaussés, habillés, prêts a partir, on n'attend plus, que lui. Encore lui, dans la salle de bains, à se laver les mains, mettre de l'eau, du savon partout, rien ranger du tout...

Soudain, un bruit, des cris. Papé est tombé! On se précipite, Grégoire le premier... Et Grand Père est là... assis par terre, à faire comme il fait souvent; à raconter des choses abracadabrantes. "Vite, dépêchez-vous! Aidez-nous, sauvez-nous! Le bateau va sombrer. Ils ont tout sabordé, tout mitraillé..."

Bien sûr, Papa Maman s'affolent. "Mon Dieu! Mon Dieu! Vite, vite, il faut appeler!".

Appeler qui? Appeler quoi? Grégoire n'entend rien à tout cela. Dans l'instant il ne pense plus zoo, animaux, singes, oiseaux, sortie. Une seule envie: jouer lui aussi. Ensemble, la comédie.

A toute allure, Grégoire se transforme en maître d'équipage.

"A  vos ordres, mon capitaine! Ho hisse! Ho hisse! accroche-toi. …" 

Ecoutez-moi tous! Du nerf, les gars! Pas de panique. Du sang-froid. Les bouées à l'eau! Larguez les canots! Floutch! Floutch! Les femmes et les enfants d'abord! Sauve qui peut! Glup! Glup! Eh! toi, là- bas, reviens!

"Mission accomplie, tous sauvés, mon capitaine! Sauvés...! Vous m'entendez!"

Le capitaine ne répond pas. Que se passe-t-il ? Son visage se durcit, fait peur, la colère le prend! il demande son porte-voix, bégaie, balbutie vraiment n'importe quoi. "Où... où se ca...cacachent ces . . .pi…pirates de malheur? Reg ... rega…regarde..i…i…Ils ont pipi…pipillé mon bateau »

"Hé! ho! Capitaine..." Grégoire commence à s'énerver. "Arrête, Papé. Arrête de faire le bête! T'es pas marrant. Qu’est ce qui te prend ? Tu en as assez? Tu ne veux plus jouer?Ah! je sais, ''j’aitrouvé, tu regrettes le zoo? Dis... C'est pour ça que tu fais l'idiot?"

Grand-père ne réagit pas. Il ne sait plus parler. Il ne veut plus, ne peut plus Se lever. Il fait des gestes drôles, bizarres, saccadés. Ainsi font font font les petites marionnettes. Il tremble des cheveux, de la tête... comme les bébés. Trois petits tours et puis s'en vont. Et se laisse tomber, engloutir, le regard noyé. Alors doucement, Grégoire s'approche du naufragé. Sa voix raconte, chante le vent, la tempête sur l'océan, la sirène, la corne de brume au loin. Ses bras sont vagues, mer déchaînée. Ses mains miment la mouette, le goéland. Ses doigts, algues mêlées... Et tout son corps, debout, grandi, phare élevé et fier, pose sur Grand-père son infini- lumière. C'est la nuit. L'entré au port... Papé  ne viendra pas dimanche prochain.

 

 

Démarche.
Je leur lis le texte à voix haute, tel quel, sans montrer les images, sans donner le titre. Les élèves ont à prendre des « traces » de cette lecture orale, sachant que ces « traces » deviendront des objets de travail commun pour comprendre le livre.

La consigne, à la fin de la lecture propose aux élèves de relire leurs « traces » de lecture et d’ajouter un ou plusieurs titres possibles à ce texte.

 

Quel titre donneriez-vous à ce texte ? Imaginez la page de couverture de ce livre

 

La consigne de réalisation est accompagnée d’un petit guide pour réfléchir sur la tâche :

Pourquoi ce livre dans une séquence intitulée « Qui suis-je ? Présentation de soi et des autres, Portrait et auto-portrait » ?

Sur quoi nous fait réfléchir ce petit livre ?

 

Lors de la séance suivante, le travail s’organise autour des titres proposés et mis en liste :

 

 

Voici les titres que vous avez proposés pour l’histoire que je vous ai lue :

Le grand-père devient fou

Drôle de Grand-Père !

Un aussi bon grand-père

Le fameux grand-père

Super Grand-Père

Le grand-père de Grégoire ;

Mon grand-père capitaine

 Le jour avec Grand-Père

La mauvaise journée de Grégoire

Un dernier dimanche avec Papé ;

Papé a la maladie d’Alzheimer, il va mourir ;

La renaissance de Papé

Une dernière traversée

 

Quels sont ceux que vous retenez, ceux que vous rejetez ? Dites bien pourquoi.

 

Je distribue seulement alors le texte intégral du livre, pour que les élèves puissent faire des incursions dans le texte, des promenades analytiques, des parcours personnels qui, pour les uns créeront des appels d’air à la compréhension, pour d’autres, à l’interprétation., à la création ou re-création. J’y ajoute, cette fois, la photocopie d’une double page du petit livre, qui ménage la rencontre avec les images, avec l’harmonisation texte-image : le grand-père est devenu fœtus replié sur lui-même dans le ventre de la mer ; l’enfant-phare grandit et prend le relais de la lumière et de la vie, sur fond rose d’un immense goéland. (Cliquez sur l'image pour l'agrandir)


 

 

Voici le texte intégral du livre que je vous ai lu

Y a-t-il des passages que tu n’avais pas entendus à la lecture ? Souligne ces passages.

Compare ensuite avec tes « traces » de lecture : te semblent-elles fidèles à ce que dit le texte. Souligne les passages qu’elles illustrent

Que rajouterais-tu à tes « traces » ?

Recopie sans fautes d’orthographe le passage où il s’agit d’un portrait. Le portrait de qui ?

Pourquoi le portrait est-il situé à ce moment-là du texte ?

Je joins au texte la photocopie d’une page complète du livre

Qu’observes-tu sur cette page ?

Essaie d’écrire ce que cette page signifie pour toi, à partir du texte et de l’image

 

 

Exemple de production d’élève :

 

Ce sont des métaphores, des images pour expliquer la mort.

C’est Grégoire qui le guide avec son phare. L’enfant-phare.

Il le guide dans la mort avec son phare, on ne dit pas : « Il s’écroule, meurt ». C’est un euphémisme.

On préfère « poétiser », le dire avec des mots-rêves.

Imaginer les phrases magiques.

Pour dire des choses dures, sèches, horribles et tristes surtout.

On les dit avec douceur et souvenir…

C’est la dernière traversée. Celle d’où l’on ne revient jamais.

Le passage, le détroit, les horribles rapides et la grande chute de la mort.

La dernière image est belle, c’est une merveilleuse métaphore.
Pour expliquer le « grande fin ». La fin de tout, la dernière traversée, celle d’où l’on ne revient jamais.

Celle dont on ne sait rien, dont on a peur, que l’on craint.
Geneviève Laurencin l’a très bien expliqué.

Pef l’a très bien dessiné.

Ils ont imaginé tous les deux la mort, la vieillesse.

Ils l’ont imaginé et expliqué.
Ils ont fait comprendre les impressions.

Ils l’ont imaginé et expliqué.
Ils ont fait comprendre les impressions.

Alice