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La Chose.
Bernard Friot.
Très souvent, lorsque je prends le rôle
professeur-lecteur de copies, je constate le peu de dramatisation des
textes d'élèves. L'écriture des sensations ou des
sentiments par exemple se limite à deux ou trois mots : "
Il eut peur" augmentés parfois de quelques descriptions très
rapides "ses mains tremblaient". Les récits restent donc
très allusifs : les élèves se concentrant presque
exclusivement sur les péripéties de leur récit ,
sur les actions qui se succèdent dans leur histoire. Mes annotations
en marge des copies : " et si tu décrivais un peu ce que ressent
ton personnage ?" ne suffisent que rarement à faire que les
élèves dépassent cette simple addition d'évènements
schématiques.
Le travail que je présente ici - comme une gamme d'écriture-
cherche en un premier temps, à faire prendre conscience aux élèves
de la nécessité de "dire des sensations", et ,
en une deuxième temps, à les aider à se construire
des outils d'écriture pour remanier leur texte.
1° D'abord lire et classer.
Je distribue un document présentant d'un côté le texte
original de Bernard Friot,"la chose", extrait de Histoires pressées,
Milan Zanzibar, de l'autre ma réécriture de ce même
texte . Dans la réécriture toutes les notations qui "
montrent " la peur ont été enlevées. Seule la
trame du récit est gardée.
La chose
Je me suis réveillé, le cœur battant
et les mains moites. La chose était là, sous mon lit, vivante
et dangereuse. Je me suis dit : « Surtout ne bouge pas ! Il ne faut
pas qu'elle sache que tu es réveillé. » Je la sentais
gonfler, s'enfler et étirer l'un après l'autre ses tentacules
innombrables. Elle ouvrait la gueule, maintenant, et déployait
ses antennes. C'était l'heure où elle guettait sa proie.
Raide, les bras collés au corps, je retenais ma respiration en
pensant : « II faut tenir cinq minutes. Dans cinq minutes, elle
s'assoupira et le danger sera passé. » Je comptais les secondes
dans ma tête, interminablement. A un moment, j'ai cru sentir le
lit bouger. J'ai failli crier. Qu'est-ce qui lui prend ? Que va-t-elle
faire ? Jamais elle n'est sortie de dessous le lit. J'ai senti sur ma
main un léger frisson, comme une caresse très lente. Et
puis plus rien. J'ai continué à compter, en m'efforçant
de ne penser qu'aux nombres qui défilaient dans ma tête :
cinquante et un, cinquante-deux, cinquante-trois... J'ai laissé
passer bien plus de cinq minutes. Je me suis remis enfin à respirer
normalement, à me détendre un petit peu. Mais mon cœur
battait toujours très fort. Il résonnait partout en moi,
jusque dans la paume de mes mains. Je me répétais : «
N'aie plus peur. La chose a repris sa forme naturelle. Son heure est passée.
»
Mais, cette nuit-là, la peur ne voulait pas me lâcher. Elle
s'accrochait à moi, elle me serrait le cou. Une question, toujours
la même, roulait dans ma tête : Qui est la chose? La chose
qui, chaque nuit, gonfle et s'enfle sous mon lit, et s'étire à
l'affût d'une proie. Et puis reprend sa forme naturelle après
quelques minutes.
J'ai compté jusqu'à dix en déplaçant lentement
ma main droite vers la lampe de chevet.
A dix, j'ai allumé et j'ai sauté sur le tapis, le plus loin
possible. Et qu'est-ce que j'ai vu sous mon lit ? Mes pantoufles ! Mes
bonnes vieilles pantoufles que je traîne aux pieds depuis près
de deux ans. Elles me sont trop petites, déjà, et percées
en plusieurs endroits.
J'étais vraiment déçu. Et un peu triste. Je me suis
dit : « Alors, on ne peut plus avoir confiance en rien ? Il faut
se méfier de tout, même des objets les plus familiers?»
J'ai regardé longtemps les pantoufles. Elles avaient l'air parfaitement
inoffensives, mais je ne m'y suis pas laissé prendre. Avec beaucoup
de précaution, je les ai enveloppées dans du papier journal
et j'ai soigneusement ficelé le paquet. Et j'ai jeté le
tout dans la chaudière
Bernard Friot, Histoires Pressées. Milan
La chose 2
Je me suis réveillé. La chose était
là, sous mon lit, vivante et dangereuse. Je la sentais gonfler,
s'enfler, étirer l'un après l'autre ses tentacules innombrables.
Elle ouvrait la gueule maintenant, et déployait ses antennes. Je
comptais les secondes dans ma tête. C'était l'heure où
elle guettait sa proie. A un moment j'ai cru sentir le lit bouger. J'ai
senti sur ma main un léger frisson, comme une caresse très
lente. Et puis plus rien.
J'ai continué à compter: cinquante et un, cinquante-deux,
cinquante-trois…Je me suis mis à respirer normalement, à
me détendre un petit peu.
Mais cette nuit-là, la peur ne voulait pas me lâcher.
J'ai compté jusqu'à dix en déplaçant lentement
ma main droite vers la lampe de chevet. A dix, j'ai allumé et j'ai
sauté sur le tapis le plus loin possible. Et qu'est ce que j'ai
vu sous mon lit? Mes pantoufles! Mes bonnes vieilles pantoufles que je
traîne aux pieds depuis près de deux ans. Elles me sont trop
petites, déjà, et percées en plusieurs endroits.
Je les ai enveloppées dans du papier journal et j'ai soigneusement
ficelé le paquet. Et j'ai jeté le tout dans la chaudière.
Denis Fabé, nulle part, éditions
(!)
a) Lisez individuellement ces deux textes
et dites en quoi ils se ressemblent ?
En quoi sont-ils différents ?
Les réponses, échangées collectivement, sont souvent
celles que j'attendais. Il s'agit pour les élèves de la
"même histoire" mais "dans la deuxième il
y a plus de détails".On en reste à des mots vagues
" détails, précisions ». D'où la deuxième
consigne :
b) Soulignez les phrases et les expressions que l'on trouve dans le deuxième
texte et qui ne sont pas dans le premier. Relisez ce que vous avez souligné
et dites de quoi parlent ces expressions, quel est leur point commun.
Ce travail de repérage s'avère nécessaire. En groupe
les élèves cherchent et discutent. Le point commun apparaît
assez vite : il s'agit bien de "dire la peur et l'angoisse'".
Je note donc au tableau ce thème et je propose alors une nouvelle
consigne.
c) En groupe, essayez de trouver une façon de classer,
sous forme de tableau, toutes ces expressions.
Le travail n'est pas simple. Les élèves doivent négocier
un classement… et ils en proposent de très nombreux, parfois
surréalistes.
Cette démarche à la consigne floue est intéressante
-quoique coûteuse en temps - puisqu'elle exige que les élèves
s'interrogent sur le sens de l'activité proposée par le
professeur.
Après quelques minutes de recherche, j'arrête le travail
et je demande à chaque groupe d'annoncer son système de
classement.
d) Vous avez donc commencé à classer les expressions
que vous avez repérées. Expliquez vos critères de
classement et essayez de dire quel est l'objectif que je voulais vous
faire atteindre en vous proposant cette activité.
Mais on peut éviter ce travail en posant, et en explicitant de
façon plus guidée, la consigne suivante.
En groupe, classez les différentes expressions en essayant
de voir comment Bernard Friot fait pour écrire la peur. Présentez
votre recherche sous forme de tableau.
Ici le travail est plus "cadré" et les élèves
découvrent plusieurs façons de les paroles où l'enfant
dit sa peur, les descriptions physiques, les monologues, le discours indirect
libre…etc
Les critères de classement " éclaircis" les élèves
terminent leur classement et fabriquent une fiche mémoire sur "les
façons de dire la peur".
2° Ecrire.
Mais la tâche serait incomplète si on en restait à
la simple description d'un fait d'écriture. A mes élèves
de 4°, j'ai proposé un exercice d'écriture où
les élèves ont essayé les "façons d'écrire
" la peur.
e) Et si on écrivait la version des pantoufles ? Elles aussi ont
eu peur. En groupe construisez le scénario de votre histoire. Ensuite
individuellement écrivez le texte en essayant de décrire
la peur.
L'exercice est assez complexe puisque , du moins je l'imagine, des pantoufles
n'ont sans doute pas la même vision du monde qu'un enfant dans son
lit.. La peur ne se manifeste pas chez elles de la même façon.
Un vrai travail d'imagination et de construction de scénario d'autant
plus que ces pauvres pantoufles meurent à la fin…
f) Quelles sont les idées que l'on peut échanger pour écrire
et réussir cette histoire de pantoufles.
Je propose par cette consigne, une recherche orale collective où
les élèves discutent à la fois :
• sur les contraintes narratives imposées par cette fin brutale
:
-Et comment on fait pour la fin ? Comme elles meurent
dans la chaudière..
-On peut imaginer que le texte s'arrête en plein milieu d'une phrase…
• sur les inventions imposées par cette fiction étrange.
- Dans le texte Friot, dit que son personnage a
les mains moites… Une pantoufle n'a pas de mains..
- Elle ont une semelle ! Ou une languette…On peut parler de ça
!
Voici comment une élève de quatrième a rédigé
son texte.
Les pantoufles et le monstre
Nous nous réveillons. La nuit s'est bien passée. Il fait
encore noir. Nous sommes sous le lit. Mais que se passe-t-il ? Au dessus
de nous, il y a quelque chose qui bouge ! C'est un monstre ! C'est horrible
! Il doit être immense et avoir d'énormes tentacules. J'entends
même sa respiration. Rrron ! pfff ! Nous avons très peur.
Ma sœur tremble, elle est serrée contre moi. Que peut-il bien
faire maintenant ? Mais il remue encore ! Nos peluches se dressent comme
des hérissons.
Le monstre va se lever, c'est sûr. Il va nous regarder...
Ses yeux doivent être injectés de sang.
Toutes nos coutures se déchirent. Les fils sautent. Nous sommes
moites de peur ! J'essaie de rassurer ma sœur :
" N'aie pas peur, il ne peut rien nous faire !" Mais j'entends
sa semelle grincer sur le parquet ! Et puis une grande lumière.
IL nous attrape. On ferme les yeux.
Il nous prend, nous enferme dans un papier journal tout chiffonné.
Il nous tasse, nous écrase. Je n'en peux plus ! Il prend de la
ficelle et nous attache. Nous étouffons, nous sommes prisonnières.
Il nous transporte. Où allons-nous ? ma sœur hurle. Tout à
coup une chaleur nous enveloppe. Elle monte, elle nous asphyxie. Oh le
monstre, il nous a mis dans la chaudière pour nous brûl…
Mais si l'on craint la surcharge cognitive due à la complexité
de la consigne, le professeur peut bricoler des scénarii possibles
qui serviront de guide et de support fictionnel à l'écriture
des élèves. Ainsi, en suivant une trame déjà
là, l'élève n'a plus la nécessité d'
"imaginer" à la fois la fiction et la narration. Il doit
simplement se concentrer sur les modes d'écriture qu'il doit convoquer
pour amplifier le texte et pour décrire l'angoisse et la terreur
( surréaliste) d'une paire de pantoufles.
Un enfant dans son lit entend le père Noël se
poser sur son toit. Son impatience est à son comble. Julien attend
son premier rendez-vous sentimental. Il est dans un café devant
sa menthe à l'eau et aperçoit, sur le trottoir d'en face
celle à qui il va déclarer sa flamme…
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