Il faudra,
texte de Thierry Lenain, illustrations de Olivier Tallec,
éditions Sarbacane, Paris 2004

 

 

Choisir de vivre ( une critique extraite de startmag.com)

Sur la couverture, le petit garçon d'Olivier Tallec semble attendre, assis dans un champ de fleurs aux couleurs éblouissantes. Depuis son « île », qui n'est autre que le ventre de sa mère, l'enfant, esquissé au crayon, comme absent, observe le monde avec perplexité. Confronté à tous les maux de la terre. Sur chaque double page, une partie colorée représente le monde qu'il voit, tandis que l'autre, laissant apparaître le blanc du papier, est dans la vision de l'enfant, dans le « il faudra ».
Devant les famines, l'enfant pense : «
il faudra attraper les nuages au lasso et les faire pleuvoir sur les déserts » ; devant l'océan : « il faudra le laver. Et puis s'asseoir devant, juste rêver » ; devant les larmes : « il faudra apprendre à dire je t'aime sans l'avoir jamais entendu »
Dans une dernière image, l'enfant, toujours auréolé d'un blanc immaculé, est debout sur son île. Il regarde une dernière fois le monde qu'il vient de voir, et non pas celui qu'il voudrait, et «
décide». La dernière page, saisissante, nous dit qu'il choisit « de naître ». Le sens de l'image se fait alors différent, à droite l'enfant blotti dans les bras de sa mère, en couleur, à gauche le monde encore vierge (seul un enfant dans les bras de sa mère apparaît aux fenêtres), celui qu'il changera peut-être… Dans la révélation de cette dernière page, on se plaît à revenir en arrière et à relire l'album avec un regard neuf, parallèle à celui de ce nouveau-né qui s'éveille à la vie…
Le lecteur redécouvrira dans cet ouvrage certaines «convictions» chères à Thierry Lenain et lignes directrices de son œuvre, dans laquelle il nous exhorte à penser qu' «un autre monde est possible» et que «l'amour est plus fort que la guerre». Dans ce récit poétique, l'écriture est d'une grande douceur, très épurée. Et même si le texte a des allures de manifeste (un brin militant) contre les noirceurs du monde, il s'achève dans un élan d'optimisme, un hymne la vie. Il nous impose à ce titre une responsabilité et une vigilance quant à l'avenir que nous offrons à nos enfants.

Les illustrations sont en parfaite osmose avec le récit, comme si elles le suggéraient. Dans le parti pris de ce qui reste blanc, et donc à colorer, le dessin d'Olivier Tallec transcende les mots, et ce petit bonhomme au regard contemplatif, qui tend les bras, impuissant, nous bouleverse dans sa profonde détermination à naître « malgré tout ».
Un brin de nostalgie enfantine souffle sur l'album, qui s'adresse aux petits comme aux grands ; car qui n'a pas rêvé, un jour, de vouloir changer le monde ? Et de savoir peut-être que le seul monde possible est celui en lequel nous croyons, que nous nous choisissons, comme chaque enfant qui naît choisit de vivre.

Cendrine Genin
(mai 2004)

 

 

 

 

Texte de l'album


« Quoi toujours ce serait la guerre, la querelle Des manières de rois et des fronts prosternés

Et l'enfant de la femme inutilement né (...) ? »

 (extrait de Un jour, Louis Aragon)

 

L'enfant était assis là sur son île.

Il regardait le monde et réfléchissait. L'enfant vit les guerres.

Il se dit il faudra peindre les uniformes des soldats.

Il faudra, des canons de leurs fusils,

faire des perchoirs d'oiseaux et des flûtes de bergers.

L'enfant vit les famines.

Il se dit il faudra attraper les nuages au lasso et les faire pleuvoir sur les déserts.

Il faudra creuser des rivières d'eau et de lait.

L'enfant vit la misère.

Il se dit il faudra apprendre à additionner, soustraire et multiplier, et puis à diviser.

Il faudra apprendre à partager l'argent, le pain, l'air et la terre.

L'enfant vit les puissants

se goinfrer, ordonner, clamer et décréter.

Il se dit il faudra leur ouvrir les yeux ou les chasser.

L'enfant vit l'océan.

Il se dit il faudra le laver.

Et puis s'asseoir devant, juste rêver.

L'enfant vit les forêts.

Il se dit il fera bon s'y promener, s'y aventurer, y écrire des histoires pour s'y perdre,

puis se coucher sur la mousse pour les écouter.

L'enfant vit les larmes.

Il se dit il faudra apprendre à s'enlacer, à ne pas avoir peur des baisers.

Il faudra apprendre à dire je t'aime même sans l'avoir jamais entendu.

L'enfant leva la tête.

Il vit la lune un drapeau planté au front, stupide affront.

Il se dit il faudra l'enlever

et lui demander pardon.

Enfin l'enfant regarda le monde

une dernière fois de son île.

Puis il décida...

de naître.

 

Les démarches sont multiples sur cet album.

 

-Outre le travail sur le rapport texte image ( voir la critique précédemment citée),  le sens de la couleur, du blanc, et de " ce qui reste à colorier..",

-Outre le fait , à l'inverse , de faire illustrer certaines des pages par les élèves pour matérialiser le différence entre le réel "tel qu'il est" et le  réel "encore à construire" ,

- outre le fait que la chute du texte – il décida de naître-  est en soi une proposition d'activité On peut la supprimer ,  la faire inventer, et enfin la donner pour réinterroger le sens du texte…

- puisqu' il s'agit d'un texte à structure répétitive pourquoi ne pas proposer de  le continuer…
- pourquoi ne pas caviarder des extraits et demander aux élèves de remplir leur "il faudra"…

- pourquoi ne pas travailler sur la différence entre "il faudra " et "il faudrait" et sur les valeurs des temps qui, pour une fois ,posent ici une vraie question d'éthique
- pourquoi ne pas organiser un débat sur l'engagement…

En fait ce texte est riche et donne à grandir…

( Bientôt ici, les démarches proposées par Séverine Suffys dans ses classes)